Potentiel du récurrent :
« Les mystères de Tenerife » de Lazaro Martin Manca


Encore un premier roman étranger, un Espagnol ce coup-ci, qui se lance dans un bizness d’avenir : la micro série littéraire à saison. Après l’avènement des auteurs de polar Scandinaves, va-t-on assister à celui des écrivains venus du Sud ?

Vicente Clavijo Rodrigez, aimerait passer ses journées à courir les greens de l’ile de Tenerife. Seulement, si ce garçon est plutôt doué pour le golf, il est comme tout un chacun, obligé de subvenir aux dépenses du quotidien. Ancien membre destitué de la police espagnole, Vicente, qui ne sait visiblement rien faire d’autre, a donc monté une petite affaire de détective privé dans la plus grande ile des Canaries. Partant du principe actif vérifiable en toute société, que la criminalité n’a pas de frontière et l’homme n’est pas forcément bienfaisant, Vicente a du pain sur la planche. A Tenerife comme ailleurs, il y a des morts, des disparitions, des fantômes, des extraterrestres et toute un flopée d’affaires pour occuper ses journées et gagner quelques euros.

Après les affres récents de M. Amancio Tenagillo y Cortazar et son Cepdivin (Oh ! Bonjour, M. Cortazar. Désolé d’avoir perturbé votre alerte Google. Non, ne vous en faites pas, je ne dis cette fois aucun mal de vous, je ne fais que vous citer innocemment, vous pouvez quitter cette page, merci de votre visite*), voici un nouvel Espagnol, bien nommé aussi : Lazaro Martin Manca, nouvel arrivant de la galaxie des jeunes auteurs internationaux auxquels les éditeurs français savent faire la part belle. La semaine dernière, nous écrivions tout le bien que nous pensions de l’un de ses collègues primo arrivant turk, Larif Marisk (voir ici), digressons donc ce jour sur ce LMM en commençant, là encore, par la succincte biographie livrée en 4ème de couverture, un exercice synthétique en six lignes dont les rédacteurs ont le secret : né à Tenerife dans les années 60, employé de Musée en Catalogne pendant vingt ans, puis retour sur l’ile pour exercer la profession de vendeur de voiture, la passion du golf et enfin l’écriture.

Les mystères de Tenerife – dont il n’est nulle part mentionné qu’il s’agit d’un premier ouvrage, mais si l’on googlise l’auteur, on ne le trouve nulle part ailleurs que dans cet unique livre – est une suite de douze nouvelles policières mettant en scène donc, un détective et son environnement insulaire : l’amie proche, tentante, confidente et parfois aide de camps, la Française Florence, médecin ; la maîtresse, conservatrice de musée, indépendante et mère de famille, Carmen ; le tenancier du Bar del Mar, grand pourvoyeur de bière locale Dorada et ami de longue date, Domingo ; et le flic de la guardia civil, presque collègue, jamais bégueule sur les tuyaux, Felipe. Il ne manque plus qu’un chat pour compléter la garde robe, et bien en voici un : Gazpacho. Le décor autour vaut bien une cité des Anges : Tenerife, et sa moitié obligatoirement abandonnée à la nature grâce au volcan qui l’occupe, le Teide ; sa population débordée par un tourisme vampirique principalement annexé par les Allemands et les Anglais qui font de l’ile, à la haute saison, un faubourg de Liverpool et de Hambourg ; et la cohorte d’hyperurbanisation qui va avec. Tenerife enfin, dont Franco fut nommé gouverneur en 1934, et qui possède encore quelques rues et avenues portant le nom du Caudillo et de son grand inspirateur Primo de Rivera.

Si elle ne peut pas se départir d’une certaine observation déambulatoire de l’ile, la plume de Martin Manca ne manque pas de style. Très classique dans les thèmes abordés (les histoires de détectives privés nécessitent quelques schémas), le traitement n’en est pas moins humoristique, très cadré et savamment aménagé. On notera ici – car on oublie trop souvent de leur rendre hommage – l’excellent travail de la traductrice.

On ne vit pas là de grands moments de suspens, Vicente Clavijo Rodriguez ne traverse pas à cent à l’heure des drames sanguinolents, ni ne conduit bourrés, ni ne se promène avec un flingue dans chaque poche, mais néanmoins, le lecteur se laisse balader dans quelques aventures où l’on flirte aimablement avec le fantastique, la science fiction et le manichéisme de bon alois. On appréciera même de se faire aussi sadiser par un auteur qui n’hésite pas à sacrifier la victime inattendue et l’on achèvera cette collection de récits par une bonne nouvelle : Les mystères de Tenerife finissent sur un clifhanger, figure stylistique fortement utilisée dans le sériel et qui consiste – au pied de l’expression – à laisser le héros suspendu par le bout des doigts à l’escarpement d’une falaise, dans l’attente du prochain épisode. Oui, ce volume devrait être une première saison. Oui, Tenerife nous réserve encore quelques surprises.

Les mystères de Tenerife

Roman espagnol de Lazaro Martin Manca

Traduit de l’espagnol par Andréane Bernard

219 pages – Le Passage Polar – 2009

(*) Pour ceux qui ne comprendraient pas cet aparté privative, vous pouvez en découvrir la raison ici… et dans le courrier des lecteurs qui y fait suite (colonne de droite).