J’aime bien procéder comme ça. Je pars d’un exemple
relativement éloigné de mon sujet et je tente comme je peux de revenir vers ma
cible pour illustrer mon propos. C’est souvent très casse-gueule comme procédé
et j’avoue humblement que ça n’est pas toujours très concluant. Mais bon, à
priori, la rédaction ne m’a encore jamais refusé un papier, je ne vois donc pas
pourquoi je changerais de technique argumentaire en si bon chemin.
Prenez
un type lambda qui vit de petits boulots pour apporter son lot financier à
l’édifice familial, et boucle rarement les fins de mois sans risquer un
découvert bancaire, donc des agios, donc une augmentation perpétuellement
renouvelée de sa dette. Il va de soi que cet individu aura du mal, en
septembre, à régler son impôt sur le revenu, en octobre à régler sa taxe
d’habitation, comme il aura eu du mal en février et en mai à payer ses tiers
provisionnels. Donc, au bout de la chaine, le pauvre bougre verra son budget
non seulement grevé par les accidents bancaires, mais en plus, se trouvera
contraint de payer des pénalités de retard au Ministère des Finance pour le
paiement retardé de ses diverses taxes. 10% à chaque coup.
Vous
voyez le bonhomme en question ? Très bien. Affublons-le maintenant d’un
travail mal reconnu par la société ou, à tout le moins, entendu comme un loisir
et non comme une profession – même si bon nombre d’entre vous aimerait,
soi-disant, être à sa place : écrivain.
Commençons
par démythifier ce prétendu hobby. Non, un écrivain ne vit pas de ses droits –
à l’exception d’une marge extrêmement réduite de privilégiés – parce que les
droits d’auteurs représentent au mieux 12% du prix hors taxe d’un livre vendu.
Donc, quels que soient les litres de sueur qu’il ait laissé sur le papier, le
nombre de signes qu’il ait écrit et la qualité des critiques qui ont été ou non
émises après parution, sur un roman vendu 18 euros, prix public, un auteur
percevra en moyenne la modique somme de 1,80 €. Vous me direz, quand on en vend
100 000, ça représente un pactole indiscutable. Et je répondrais que là, vous
parlez d’un type qui n’a aucun retard dans le paiement de ses obligations.
Donc, non, un écrivain ne vit pas de sa plume, c’est un métier de rat, il faut
taper tous azimut et récolter le fruit de son travail bien loin parfois de
l’endroit où l’on a planter la graine.
D’où
l’importance pour l’auteur, l’écrivain, le romancier de planter le maximum de
graines. C’est-à-dire, ne pas se contenter de sa seule écriture, mais se porter
volontaire dans tout un tas d’activités annexes ayant trait à l’écriture et
tant qu’à faire rémunérées. Contrairement à une idée reçue, il y en a très peu.
En fait, il n’y en a que deux : les rencontres et les ateliers d’écriture.
Eliminons dores et déjà la rencontre en librairie qui ne rapporte pas un kopek
– et c’est bien le moins puisque le but est de se montrer suffisamment avenant
et prolixe durant une heure pour espérer vendre une demie douzaine de romans à
l’issue de la discussion ; en dehors de ces hypothétiques ventes, votre
venue n’est pas sujette à rémunération. Passons à la rencontre en milieu dit
public, c’est-à-dire dans un lieu dépendant directement du Ministère de la
Culture ou, en tout cas, dont une partie du budget de fonctionnement est fourni
par celui-ci. A savoir : établissements scolaires, médiathèques, prisons.
Des
âmes sages ont pris sur leur temps et leur passion pour instaurer une charte.
Le but était de mettre en place un paiement fixe pour l’activité d’un auteur en
représentation dans les institutions publiques du territoire. Depuis ce saint
jour que toute personne espérant pouvoir vivre de ses écritures ne saurait
remettre en question, l’écrivain courtisé se voit donc obligatoirement rémunéré
pour aller porter la bonne parole devant des enfants ébaubis, des adultes
fascinés et des taulards en mal de dépaysement, soit un honorable public. Il
sait que, grâce à la charte des auteurs, il récoltera un peu du fruit de son
labeur et ce, un peu moins aléatoirement que la restitution des droits générés
par la vente de ses livres. Le problème reste de savoir quand ces émoluments
promis tomberont.
Le
mandat administratif. Voilà le véritable ennemi de l’écrivain qui ne vend pas
assez de sa production pour prétendre en vivre et annoncer gaillardement à sa
famille que ce week-end, on se barre à Gstaad profiter du chalet avant que la
neige ne fonde. Le mandat administratif, cette saloperie est explicable en
quelques mots. Vous vous pointez dans une école, une bibliothèque ou une
prison, vous y passez un certain temps à raconter tout un tas de trucs pour
lesquels vous êtes là, et à la fin, un peu embarrassé, vous tendez votre
facture au préposé de l’établissement. De là, votre facture va transiter vers
le département comptabilité de la commune où vous venez d’exercer votre
activité. Qui la transformera en demande de paiement transféré à la Direction
des Services Fiscaux de la région concernée. Soit, les impôts. A cet instant,
on vous informe par mail que l’on a « déclenché le paiement ». Il
vient de s’écouler trois semaines, mais l’auteur n’est pas au bout de ses
peines. A partir de ce moment, les impôts procèdent à une demande de versement
qui prendra la forme d’un virement sur le compte de l’auteur qui s’est présenté
près d’un mois plus tôt sur son lieu de travail. Je parle ici d’un mois, mais
il va de soi qu’il s’agit d’un temps, lui-même, administratif. C’est-à-dire de
trente jours ouvrés. Il n’est donc pas rare pour un écrivain d’attendre deux
bons mois avant de voir apparaître sur son compte les trois chiffres tant attendus.
Trois chiffres !
Il
faut aussi savoir que le mandat administratif est utilisé pour le versement des
aides à l’écriture et des paiements de résidences d’auteur. Le principe de l’un
comme de l’autre est de bénéficier d’un salaire afin de permettre à l’artiste
invité ou primé de consacrer un temps donné à sa création. Problème :
comment se sentir soutenu financièrement quand la paye ne tombe qu’un mois et
demi minimum après la fin de l’exercice. Qui paye les factures pendant de
temps ?
Voilà,
la boucle est bouclée. Où ça ? Comment ? Vous n’avez rien suivi,
c’est ça ? Ce sont les impôts qui payent les mandats administratifs.
Et ce, selon un calendrier totalement aléatoire, perpétuellement retardé pour
des raisons jamais justifiées. Vingt quatre heures de retard sur le paiement du
tiers provisionnel de mai, c’est 10% de pénalité. Pourquoi un écrivain
n’enverrait-il pas sa facture majorée de 10% au centre des impôts lorsque
trente jours de retard sont avérés ? Ouais, j’avais prévenu, c’est
casse-gueule comme démonstration. Mais oubliez la conclusion et revoyez la
question à l’aune d’une tache professionnelle. Quand la paye ne tombe pas à l’heure
dite pour d’obscures raisons, vous faites comment vous pour payer les 10%
de majoration exigés par une entité qui ne respecte pas les délais qu’elle vous
impose ?
Alfred Random
Reporter stagiaire au Petit Laboratoire des
Potentialités Globales
depuis 2013