PRESQUE…
Une chronique littéraire de Lise Poniatovski

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Ca aurait pu s’appeler « Presque » tant le projet de vie de Hubert Garden est approximatif. Lancé avec sa femme dans la construction d’une maison, il vit presque dedans, c’est à dire dans un mobile-home à coté des fondations. Chargé de sécurité dans une société de BTP, il est presque à sa place. Mais un incident de parcours l’envoie paitre dans un presque placard derrière la porte duquel, il va se lancer dans une vengeance qui elle, n’aura rien de tiède.
Bon, ça s’appelle « Travailler tue ! », ce qui est presque bien, mais pas tant que ça à bien y réfléchir. On voit derrière ce titre les décisions éditorialistes contre lesquelles un auteur ne peut pas grand chose, surtout quand son principal intérêt dans l’affaire est d’être publié vaille que vaille. Yvan Robin fait parti de cette tribu, alors on ne va pas commencer à lui tailler des croupières dont il n’est pas responsable. On ajoutera, juste en passant, des fois que son éditeur lise mes chroniques, qu’il paraissait inopportun d’en rajouter une couche avec le sous-titre « Roman pas policier mais presque… » mentionné sur la couverture. Mais bon, ne nous attardons pas, là n’est point le propos.
Parce que « Travailler tue ! » n’est pour autant pas un presque roman. Encore moins un presque roman policier. C’est un roman noir, M. Lajouanie – l’éditeur. Et si vous connaissiez un peu les règles du sous-genre, vous n’auriez pas commis cette erreur d’aiguillage. On est ici dans le roman noir, donc dans la peinture d’une société dont le malaise est représenté par un personnage central qui n’est pas forcément un policier, pas forcément un assassin, plutôt un quidam symbole de l’état de dégradation d’un corpus.
Le voilà, le rôle d’Hubert Garden. Il n’en sait encore rien, mais il est cet homme là. Et Yvan Robin s’en occupe très bien. Crise d’angoisse, incapacité à se révolter, passage à l’acte par débordement. Tout autour de ce type ramène le lecteur à un enfermement. On se croirait dans « Les visages écrasés » de Marin Ledun, mais ça n’est pas ça. Dans « Des clous » de Tatiana Arfel, mais non plus. Dans « Le couperet » de Donald Westlake, mais encore moins. On entre là dans un sous-genre de circonstance où chacun apporte sa pierre à l’édifice et celle de Robin n’est pas des moindre : le roman noir post crise de 2009. Celui qui met en scène l’enfer entrepreneurial. Celui qui prend pour héros des temps modernes l’inverse même du héros de roman policier à succès. Garden n’a même pas la rage, il est juste en colère et le temps qu’il pense sa colère, elle est déjà en route, avec les outils du quotidien. Hubert Garden était chargé de la sécurité de l’entreprise qui vient de la placardiser ? Pas de problème. Il va lui suffire d’inverser la tendance. Quand on maitrise la sécurité, on maitrise le drame. Si on lâche l’un, l’autre advient. Suffit, de temps à autre, de pousser un tout petit peu le sort pour que l’horreur arrive.
C’est là tout le bon sens de ce roman. Montrer, ou remontrer que l’entreprise ne fait jamais que donner à ses employés les armes pour la détruire. Il suffit juste de faire le contraire de ce qui est prescrit. De faux hasards en fausses visites surprises sur les chantiers, Hubert Garden va pourrir sa boite. Bien sûr, il laissera quelques collègues sur le carreau, mais ce sont là les dommages collatéraux classiques du roman noir. Et le soir venu, Hubert Garden reviendra sur son lopin de terre pour cultiver le jardin qu’il se prépare. Et dans ce jardin aussi, il y a de mauvaises herbes. Celles qu’on coupe inlassablement pour faire place nette, mais dont les rhizomes repoussent inlassablement.
Bref, pour résumer l’affaire, nous retrouvons là un auteur débarrassé de son écriture de jeunesse (Yvan Robin était l’auteur, en 2011, de la « Disgrâce des noyés »chez Baleine) et apte au service. Gageons que d’ici au troisième opus, il aura convaincu son éditeur de lui laisser les coudées franches sur le titre.

Lise Poniatovski

Secrétaire de rédaction au Petit Laboratoire des Potentialités Globale

depuis toujours – et qui attend toujours sa paye pour l’exercice 2015.