Troisième roman d’Alain Julien Rudefoucauld et une presse
dithyrambique. C’est une bonne excuse pour le PetLab qui ne traite jamais les
sujets brulant de l’actualité…
Marco, Sylvie, Malid,
Xavier, Thierry et Manon sont en rupture avec la société. Administrativement
parlant, ce terme peut signifier beaucoup de choses. Sociétalement parlant,
quoi qu’aient fait ces adolescents, ils sont considérés comme des délinquants.
Donc, ils sont condamnés à aller se ressourcer dans un centre d’accueil en
région bordelaise. Au départ, le programme paraissait simple pour les
éducateurs : un stage dans une île sur la Garonne leur ferait le plus
grand bien. A la fin c’est plus une catastrophe humanitaire. Parce que s’il y a
une chose qui est certaine dans ce groupe, c’est que l’esprit de résistance
n’est pas qu’un mot, encore moins une posture.
Il est très rare
aujourd’hui de voir un roman publié par un éditeur plutôt confidentiel (à tout
le moins peu habitué au devant de la scène) monter aussi rapidement les marches
de la gloire médiatique. Depuis sa parution en janvier de cette année, c’est un
déluge de critique. Et de la critique flamboyante, les plus grands chroniqueurs
s’y sont collés, rivalisant de superlatifs. A juste titre.
Ce roman est un véritable pari
stylistique. Alain Julien Rudefoucauld se lance ici dans un enchevêtrement de
monologues intérieurs, chacun des six personnage sa la parole et la coupe au
précédent qui la coupera au suivant, en une sorte de flux continue. Par bien
des aspects, cette technique ressemble à du David Peace, les chapitres
commencent au milieu d’une phrase et s’arrêtent de même. Du débord verbal
permanent, ces adolescents crachent, parlent, jactent, philosophent avec un
talent inimitable un monde qui les a fait naître et les a lâcher. Et jamais
l’auteur ne tombe dans la sacre de la novlangue jeuniste démodée après demain.
Rudefoucauld parle comme jamais de
la démission des adultes. On ne saurait trop vous conseiller les nombreuses
interviewes qu’il a donné (dont certaines sont visibles sur le net, notamment celle-ci).
Cette thématique est le point d’ancrage du Dernier
contingent. Six adolescents dans la tourmente d’une société qui les condamne
d’avance. Et six adolescents qui se barricadent. Ce n’est pas émouvant, c’est
brut, âpre, consistant jusqu’à l’essoufflement et ça ne s’essouffle jamais. Le
contrat avec le lecteur est certes compliqué, l’acceptation de ce texte parlé
demande de la curiosité, de l’appétit, mais n’est-ce pas là l’intérêt d’un
roman ? C’est apparemment ce que Télérama et France Culture ont voulu
récompensé en attribuant leur prix annuel au Dernier Contingent en avril.
En trois romans et un nombre
conséquent de pièces de théâtre, Alain Julien Rudefoucauld a construit un
univers complexe autour du dialogue contemporain. Ce graphomane endurci semble
ici plus que jamais en avoir encore sous la pédale.
Un mot sur les éditions Tristram
avant d’en finir : éditeur à Auch depuis 1989, ils se sont notamment fait
connaitre pour avoir fait reparaitre les textes d’Hunter S. Thompson ainsi que
sa biographie dont nous avons parlé ici même.
Le travail qu’ils ont fourni pour que ce livre arrive au succès mérité qu’il a
connu depuis sa parution est remarquable, tant sur le point éditorial que sur
le ring commercial du monde du livre.
Le dernier contingent
Roman
français d’Alain Julien Rudefoucauld
Tristram
– 2012 – 501 pages
Cet article a été rédigé par
Raphaëlle
Onet