Attila ressort Nuit, le roman fondateur d’Hilsenrath, qui nous
enferme 500 pages durant dans l’enfer d’un ghetto pseudonyme. Ou la puissance
de feu d’un écrivain lui aussi rescapé mais qui a trouvé une autre voie pour
parler de la shoah. Terrifiant.
1942. Dans le ghetto de
Prokov, ville roumaine à deux pas de la frontière ukrainienne, les juifs
organisent leur survie. Débrouille, rapines, meurtres, on fait comme on peut.
Au milieu du désastre humain, Ranek ne fait pas mieux que ces coreligionnaires.
Lui aussi vole, lui aussi s’en sort du mieux qu’il peut, avec ses forces
décroissantes, la faim au bide. L’important à Prokov, c’est de trouver un lieu
pour dormir, un toit à se mettre sur la tête. Pas pour le confort, juste pour
la sécurité : la nuit, les policiers font des rafles et déportent les
trainards. C’est la nuit que la mort tombe.
On vous a parlé au moins
deux fois déjà d’Hilsenrath (ici
et là),
inutile donc de revenir sur la biographie de cet écrivain monumental remis au
gout du jour par les éditions Attila. Reparait cette année ce que bon nombre de
connaisseurs appellent son œuvre majeur. Nuit.
C’est intelligent de la part d’Attila de ressortir Nuit en troisième position derrière Fuck America et Le nazi et le
barbier. Intelligent parce qu’à bien des égards, si l’on lit Nuit en premier, on hésitera
certainement à se saisir des deux autres. Si Hilsenrath arrive à nous faire
rire avec le grotesque du Nazi et le
barbier, horrible fresque des camps de la mort, avec Nuit, il semble parvenir à une limite infranchissable. Roman de
l’avilissement et du retour à l’animal, ce récit ne même nulle part, vers
aucune espérance.
Hilsenrath est une
terreur dans la littérature de la Shoah. Une terreur parce qu’il ne victimise
pas. Ici, il n’est nullement fait mention d’un Prokov avant et après la guerre.
Nous sommes dans le pendant, dans le ghetto en ruine, bouffé par le typhus. Les
femmes, les hommes, les enfants sont totalement déshumanisés, ont accepté leur
condition, guette le prochain mort pour lui faucher sa place dans un dortoir,
ses éventuelles dents en or qu’ils auront au marteau, sans faire de détail. On
accouche et on meurt, on avorte et on baise dans l’indifférence générale. Et
tout est là : plus on avance et plus on se dit que la pitié n’aurait pas
sa place dans ces lignes. Le pire serait de s’attendrir sur Ranek, sur sa belle
sœur, sur le sort de ces pauvres squelettes rendus à l’état sauvage.
La lecture peut parfois être
insupportable, mais jamais Hilsenrath ne se place dans la peau du juge, ni même
du témoin. On est à Prokov, avec eux, dans l’insupportable nuit qui ne mènera
nulle part. La force de ce roman est là. On n’espère pas, on n’attend rien, on
voit ce qu’il y a à voir, sans pudeur, et on oublie que l’on a à faire à des
hommes.
Nuit
Roman
allemand d’Edgar Hilsenrath
Attila
– 2012 – 555 pages
Cet article a été rédigé par
Emile
Partagas