Potentiel du mythe américain
Anthracite
de Valerio Evangelisti


Si un certain libraire de notre connaissance vient à consulter cet article, il ne manquera pas de nous écrire pour s’exclamer « Ah ! Enfin ». Oui, dix ans après sa parution chez Rivages/Noir, nous avons lu et chroniquons en retard ce roman plutôt extraordinaire.

Pantera est une sorte de sorcier, Mexicain de surcroit et tueur à gage pour faire bonne mesure. Il ne sort jamais sans son nganga, une sorte de totem enfermé dans un sac, qui lui donne fréquemment ses impressions sur les évènements en cours. Et les évènements que s’apprête à vivre Pantera sont plutôt complexes. Le voici engagé par une foultitude de partis opposés se disputant le charbon que l’on extrait à la frontière de tristes boomtowns de Pennsylvannie. En effet, quelques années après la fin de la guerre de sécession, une autre guerre civile se prépare en Amérique : celle du capitalisme contre le communisme. Tour à tour, Pantera fera le jeu des syndicalistes, des grands patrons, de l’agence Pinkerton et ses briseurs de grève, et des Molly Maguires, sorte de loge assassine qui punit par le meurtre tout ceux qui touchent au peuple irlandais. Nous sommes en 1877.

Ils sont devenus rares, les écrivains qui osent encore se frotter au western. Pourtant, en 2001, Rivages/Noir faisait paraître ce roman de Valerio Evangelisti (issu du cycle Métal Hurlant), chronique ravageuse d’une histoire peu connue de ce coté-ci de l’Atlantique : l’importation aux USA du marxisme et son application directe sur le monde des mineurs. Quoi de mieux pour ce faire que de créer un personnage central qui sera le témoin privilégié de l’histoire qui s’écrit. Pantera n’est pas seulement un chasseur de primes qui volette d’un camp à l’autre. Evangelisti se sert de lui pour espionner tous les camps qui se livrent bataille sur le sol noirci de Pennsylvanie et narrer, avec une précision de chercheur, les évènements qui ont précéder la constitution des Etats Unis d’Amérique.

De ce fait, il est littéralement impossible de résumer ce roman. L’époque est trouble, les intérêts multiples et les forces en présence meurtrières D’un coté, les travailleurs qui s’éveillent au syndicalisme et à la pensée marxiste. Les mineurs, pour la plupart issu de l’immigration anglaise dont Evangelisti nous apprend qu’ils gagnent si bien leur vie en excavant le charbon qu’ils se payent les services d’ouvrier non qualifiées. Ces ouvriers sont Irlandais, autant dire la lie de l’humanité. Les Irlandais ramassent la merde des Anglais avec pour mémoire la grande famine à laquelle les a condamnées l’empire britannique entre 1845 et 1849. Esclaves, ils ont formés une société secrète, les Molly Maguires, mafia sanglante qui assassine pour l’exemple ceux qui touchent aux Irlandais. Mais comme il reste toujours un barreau plus bas sur l’échelle des travailleurs, sous l’Irlandais, il y a l’Allemand, puis le Slave, celui qui ramasse la merde de la merde. Un monde infernale, au bord de l’explosion que manipulent les grands patrons, ceux qui exploitent les mines et le chemin de fer, qui détruisent le paysage pour leur seul profit, ceux qui fondent aussi la politique de l’Amérique, celle qui sortira vainqueur : le capitalisme.

A cela, va s’ajouter une importation de la Commune de Paris comme idéal populaire dans une Philadelphie qui s’embrase. Voilà l’histoire d’Anthracite, roman à tiroirs qui marche dans les pas d’un Mexicain revenu de tout et témoin d’une Histoire née de l’héritage du vieux continent. Ce livre est simplement fantastique, multiple, dense. Il est aussi un rappel des origines du roman noir, celui qui prit ses sources dans l’enfer de la société américaine.

Anthracite

Roman italien de Valerio Evangelisti

Traduit de l’italien par Jacques Barberi

Rivages/Noir – 2001 – 460 pages