Quand un auteur de chez Rivage, natif du Havre, journaliste à Ouest France, prend la plume pour un Poulpe et nous parle de la centrale de La Hague, ça ne fait pas que des ronds dans l’eau.
Christophe Lejudec a passé toute sa carrière au chaud dans la centrale nucléaire de La Hague, sans se poser de questions. Maintenant qu’il arrive à l’âge de la retraite, il a des doutes. Et ses doutes, il en a fait un dossier. Mais personne n’en veut. Alors autant tout donner aux écolos du coin pour qu’ils fassent éclater l’affaire. Seulement voilà, comme dans tout bon premier chapitre d’un Poulpe, Lejudec se fait tuer. Donc, Le Poulpe débarque dans le Cotentin, et commence à enquêter au coté d’un ancien compagnon de manif’ antinucléaire. Lejudec est mort parce qu’il était forcément gênant. Mais pour qui ? Le lobby nucléaire ou bien quelqu’un de plus proche ?
Elle est agréable la plume de Philippe Huet. C’est plein d’ironie entre les virgules, ça file comme un bon papier de la chronique faits divers, ça dialogue bien, bref, c’est salement vivant. Du coté du Poulpe, rien de neuf. Le céphalopode s’emmerde depuis déjà plusieurs volumes, comme si le fait même de partir en enquête commençait à lui peser. Et cette Chéryl qui lui botte le fondement d’épisodes en épisodes. Ce Gérard à la philosophie de fond de bouteille. Et puis finalement, l’investigation lui fait l’effet d’une barre de Mars. Et une fois de plus, les seuls qui ne s’emmerdent pas, ce sont les lecteurs.
Ici, Huet parachute son Poulpe sur la presqu’ile du Cotentin, histoire de refaire un peu le point sur les secrets du nucléaire, de refocaliser l’attention sur ce paysage français mis au ban de l’Etat dans les années 70 et tenue d’une main de fer par les autorités. Des autorités qui n’ont jamais changé de discours depuis la pose du réacteur : le nucléaire, c’est de l’emploi. Alors oui, la région est riche ; oui, tout un chacun bouffe grâce au nucléaire ; et non, il n’est pas envisageable de voir un jour cette colonie s’arrêter de tourner. Du coup, La Hague est devenue un mystère solidement gardé, un monde de garde-fous où le combat est vain. On y enterre depuis quarante ans des saloperies dans des conditions de stockage invraisemblables mais personne ne bouge.
Gabriel Lecouvreur, comme Philippe Huet, sait que la lutte est terminée. A telle enseigne d’ailleurs que leur Lejudec pourrait ne pas être la victime de ce que l’on croit. Pas de revanche idéologique dans cet opus. Huet ne refait pas l’histoire, ne sauve personne. Il se contente de décrire un monde qui a baissé les bras et un Poulpe qui est trop seul pour pouvoir porter un combat qui est mort-né.
La poubelle pour aller danser - Le Poulpe n°273
Roman français de Philippe Huet
Editions Baleine – 163 pages - 2011