En octobre et novembre sont sortis deux nouveaux Poulpe. L’un du Franco-québecois Luc Baranger, l’autre de l’ancien présentateur du JT d’Antenne 2 Hervé Claude. Avant la sortie de décembre, il est temps de rattraper le retard.
Chez Luc Baranger, Gabriel Lecouvreur quitte un Paris grisâtre pour un Québec neigeux où vient de mourir son ami de jeunesse Quentin Cointreau. Sur place, il retrouve Maria la superbe, ancienne amoureuse d’une époque révolue qui avait, en son temps, choisi Quentin au Poulpe. Mais ce que l’octopode découvre sous la neige, c’est la vie qu’a mené son vieux camarade : escroquerie, chantage de haut vol, Quentin avait toutes les raisons de se faire dessouder dans un monde silencieux où la politique locale ressemble au pré carré d’une mafia bien rodée.
Chez Hervé Claude, le Poulpe traverse aussi le globe de part en part, mais vers les tropiques australiens. Là aussi, un mort, une connaissance : pouvait-on se douter que ce tendre Me Pinard, avocat de son état, et client régulier du Pied de Porc, était homosexuel et avait ses habitudes du coté de la frange drag-queen de l’Océanie ? Certainement pas. Alors pourquoi et de quoi est-il mort ? Seul moyen de le savoir : aller se mélanger à la foule interlope du cinquième continent.
On le sait, le Poulpe est déformable à merci. Depuis sa reprise il y a maintenant près de deux ans, les auteurs qui s’en chargent, l’embarquent à peu près partout autour du monde et en font à peu près ce qu’ils veulent. De là à risquer de lui faire subir la pire des amplitudes thermiques il n’y avait qu’un pas franchi en seulement deux mois par Luc Baranger et Hervé Claude. Des milliers kilomètres séparent ces deux épisodes, une bonne soixantaine de degrés Celsius aussi. A la base, toujours le même fond de sauce : Paris est grise, la cinquantaine pèse lourd et Chéryl est chiante comme aux premiers jours. Autant partir le plus loin possible.
Luc Baranger, traducteur de Christopher Moore pour la francophonie, routard gratteux qui se rêvât longtemps comme acteur de la culture rock américaine, possède un talent rare très bien exploité dans cet épisode : faire un roman québécois, avec le verbiage québécois, sans prêter le flanc au ridicule. Pourquoi au ridicule ? Parce qu’une expérience précédente, menée tambour battant par sa consœur Fred Vargas (Sous les vents de Neptunes), nous avez laissé pantois quant à l’exploitation touristico-littéraire de ce patois outre-Atlantique déjà largement vanté par ici. Oh ! Le beau langage fleuri, Oh ! Les belles figures ! Avec cette Maria chape de haine, Baranger se fait passerpour un natif, jeudemote à merveille mais n’en reste pas là. La Belle Province que nous autres, cousins germains, aimons tant pour sa paisibilité de vitrine, nous saute à la gueule avec son pendant de vérole et d’affairisme politique. Loin de se contenter d’une simple délocalisation sous des cieux neigeux et bucoliques, l’auteur nous révèle que ce petit coin français n’a pas grand chose à envier aux affres de notre belles Cote d’Azur où les édiles posent pour de jolies photos souvenirs avec quelques bandits notoires et s’enfoncent dans de calamiteux conflits d’intérêts que ne renieraient pas nos Estrosi et autres Gaudin. Bref, 180 pages assez jouissives, plutôt drôles redessinant une carte un peu moins rosâtre du beau Québec de Gilles Vigneau et Robert Charlebois.
Pour ce qui est d’Hervé Claude – qui, malgré ce qu’on peut en dire dans le chapeau de cet article, n’est pas passé comme ça du métier d’homme tronc de la télévision nationale, à écrivain de Poulpe, mais compte tout de même une bonne dizaine de romans à son palmarès – la traversée de trois océans ne lui réussi pas mal non plus. L’Australie comme terre de contrastes en prend encore un coup. Alors que le Far West américain n’a plus de secret pour personne depuis qu’Hollywood en a fait son beurre, la terre aborigène semble être devenu depuis quelques années une sacrée ressources à histoires glauques (comme on le voit ici avec notre papier sur Cul-de-sac de Kennedy). Claude, comme Baranger pour Québec, est un connaisseur de l’endroit. La faune dans laquelle il trimbale son Gabriel Lecouvreur est faite d’à peu près tout ce qu’on peut encore découvrir là-bas, à l’exception des kangourous et des eucalyptus. Le Poulpe virevolte avec un certain talent dans le monde des clubs homos et des cabarets de drag-queen, enfile lui-même pour les besoins de son enquête les oripeaux de Lady Gaga et se frotte à la Gay Pride. Comme nous l’annonce rapidement l’auteur, on n’est pas là pour rigoler. Le tableau tracé par cet épisode est effectivement grave et délétère.
Bref, encore une fois, s’il est besoin d’y revenir, Le Poulpe montre deux nouvelles facettes qui lui font poursuivre sa belle carrière de personnage populaire, quinze ans après sa création.
Maria chape de haine
Roman français de Luc Baranger
178 pages – Baleine, Le Poulpe – 2010
&
Mort de papy voyageur
Roman français de Hervé Claude
170 pages – Baleine , Le Poulpe – 2010