Potentiel de l’écrivain moqué
Cul-de-sac
de Douglas Kennedy


L’Australie comme personne n’a envie de la connaître, c’est à peu près la feuille de route de cette Série Noire, premier roman de Douglas Kennedy, rééditée dix ans plus tard par Belfond et retitré Piège nuptial.

Nick Hawthorne a presque tout pour lui : la jeunesse, la fougue et un petit pécule suffisant pour quitter ses Etats Unis natals et se payer un trip dans l’outback australien où rien, s’est-il promis, ne se mettra en travers de sa route. Rien, c’est ce qu’il croit quand il enfile cette longue route qui coupe le continent en deux, et ne respecte pas ce que lui dit le dernier humain rencontré dans la dernière station service avant des années lumières : la nuit, ne quitte jamais la route. Il suffit d’un kangourou écrasé et d’une fille nommée Angie rencontrée sur une plage pour que la vie de Nick change brutalement de direction et prenne celle, non indiquée, d’un bled impossible : Wollanup !

Si on avait dit à notre rédacteur en chef qu’un jour il accepterait de lire jusqu’au bout un roman de Douglas Kennedy, il aurait vomi de rire. Non, sans blague, pour lui, Kennedy c’était bon pour les lectrices de Elle et les longues files d’attente à la caisse de chez Auchan. Or, un jour, un libraire parisien vient le voir et lui dit un truc du genre : « Dis donc, ton bouquin là, Taxi, take off & landing, c’est un hommage au Cul-de-sac de Douglas Kennedy ou bien ? ». Bon, c’est à ce moment là que le chef a failli vomir. Le libraire, le voyant pâlir, rajuste le tir : « Non, je te dis ça parce que j’y ai vachement pensé en le lisant : comme dans Cul-de-sac, le héro rencontre une fille qui s’appelle Angie, comme dans Cul-de-sac, il l’épouse alors que c’est pas prévu. Et comme dans Cul-de-sac, ton bouquin se passe dans une île. Enfin pour lui, c’est l’Australie, mais l’Australie c’est une île. » Voyant que ça inquiète beaucoup le sieur Gendron, le garçon tente un rétro pédalage : « Bon, mais la comparaison s’arrête là, hein ? J’ai vachement aimé ce bouquin… Le tien aussi d’ailleurs. Ecoute, on va faire un truc, je vais te l’offrir, tu vas le lire et tu me diras ». Le lendemain, le libraire tenait parole en offrant à notre rédac’ chef la Série Noire de Kennedy, paru en 1998 sous le titre Cul-de-sac.

Cul-de-sac est un exercice radicalement complexe. D’abord il s’agit d’une comédie. De qualité. Le style de Kennedy est parfait, drôle, syncopée, avec un art pour la circonstance comico-désabusée plutôt rare. Et puis, ça tourne au drame. Mais dans ce drame, le personnage central continue à avoir un regard très distancié sur les évènements. Et comme lui, le lecteur sent qu’il y a de l’espoir. Il n’y a pas mieux comme recette pour faire s’effondrer le château de carte et embarquer tout le monde avec. Lorsque Douglas Kennedy casse soudain le jouet, on prend brutalement conscience du puits sans fond dans lequel Nick est en train de tomber, puisque lui-même ne voit aucune issue. Ca n’a l’air de rien, mais c’est culotté pour un premier roman.

C’est culotté dans un monde où on demande systématiquement aux auteurs de classer eux même leur œuvre. Si c’est de la littérature noire, ça ne peut pas être de la comédie. Si c’est de la comédie, ça ne peut pas être du drame. Et si c’est du drame, alors pourquoi la narration est-elle humoristique ? Or, Kennedy arrive à faire s’interpénétrer ces deux notions et à pondre ce que nous estimons être l’un des meilleurs polars de la fin du siècle dernier.

Maintenant, quelque chose à savoir : pour une raison qui nous échappe, ce roman, paru à la Série Noire en 1998, a été réédité par Belfond. Et plutôt que de se loger dans la continuité, avec un lectorat au long court, l’éditeur parisien n’a rien trouvé de mieux que de brouiller commercialement les pistes en retitrant ce livre Piège nuptial. Ce qui permet aux lecteurs assidues de Kennedy de penser qu’il y a un inédit qui paraît et donc de se tromper sur le produit. Mais ce qui permet aussi à de potentiels lecteurs de ne plus trouver ce Cul-de-sac. Donc sachez-le, si on vous en parle : Piège nuptial est aussi bien que Cul-de-sac.

Cul-de-sac

Roman américain de Douglas Kennedy

Traduit de l’anglais (USA) par Catherine Cheval

260 pages – Gallimard, La Série Noire - 1998