Potentiels de la leçon de choses
Et pourtant je tourne de Claude Chabrol


On ne dira pas qu’à 80 ans, Claude Chabrol est parti trop tôt. Mais en lisant cette autobiographie de 1976 en forme de leçon de cinéma, on se dit juste que la mort l’a surpris alors qu’il n’en avait pas encore fini avec le cinéma.

Claude Chabrol est né en 1930 et découvre le cinéma à 4 ans, en suivant ses parents dans une salle parisienne où l’on projette Anthony Adverse, film américain de Mervyn Leroy. C’est sur ces mots que commence la seule autobiographie qu’ait écrit Chabrol. C’était en 1976. Cette année là devait sortir Twist, son… trentième film depuis Le beau Serge en 1958. Chabrol avait alors 46 ans.

On peut dire assez rapidement que Et pourtant je tourne est un joli foutoir, un merveilleux fourre-tout et un glorieux bilan. Chabrol répond à une sorte de commande, en écrivant ses mémoires de milieu de carrière alors qu’il est déjà l’un des réalisateurs français les plus prolifiques et de sa génération, et de l’histoire française des arts. Oui, comme il le dit lui-même dans ce qui va vite s’avérer être plus une leçon de choses cinématographiques qu’un pensum savant et hagiographique, malgré la somme d’embuches qu’est la mise en place d’un film, Chabrol tourne.

Farceur, semi-délinquant, politique, critique, vivant et viveur virulent, Claude Chabrol apparaît dans cette génération gaullienne où tout semble en devenir. Les maîtres d’hier sont devenus contestables. Duvivier, Autant-Lara, Gance, c’est le cinéma de papa. Le seul que l’on accepte encore de sauver, c’est Renoir. Pagnol aussi, pour la verve de ses acteurs. Étonnamment, Chabrol s’étend assez peu sur la période des Cahiers du Cinéma au sein desquels il fut un critique acerbe, en concurrence direct avec le trublion Truffaut qui pouvait faire pleurer avec sa plume à l’acide. Le beau Serge se tourne dans le village creusois où il passa son enfance. L’acte fondateur passe comme une récréation. A partir de là, l’autobiographie glisse vers la leçon de cinéma. Non pas sur le thème de « comment il faut tourner un film » mais « comment un film se tourne ».

Entremêlant les souvenirs, Chabrol nous pond en parallèle une série de fiches décrivant soigneusement le rôle de tous les techniciens présents sur un plateau. Et pourtant je tourne devient alors un ouvrage à l’usage du petit apprenti réalisateur, avec témoignages à l’appui (chef opérateur, cadreur, ingénieur du son, script, directeur de production). Les portraits tracés, pour qui a déjà mis les pieds dans une production cinématographique, nous montrent que rien n’a changé dans cette profession. Mais au-delà de ça, c’est un instantané fidèle d’un monde, le seul sans doute, qui en son sein, regroupe un nombre impressionnant de corps de métiers. Une entreprise horizontale et verticale provisoire destinée à la fabrication d’un seul et unique produit.

Plus qu’une simple autobiographie, Et pourtant je tourne est donc un réjouissant guide pratique fourmillant des détails et anecdotes faisant le quotidien de cet art éphémère qu’est le cinéma. Tout ça vu par un gosse de presque cinquante ans que la mort a fini par censurer cet été en sonnant la fin de la récré.

Et pourtant je tourne

Autobiographie de Claude Chabrol

372 pages – Ramsay Poche Cinéma – 1976

(ce livre n’est très certainement plus disponible ailleurs que chez les bouquinistes)