Clay a pris vingt cinq ans dans les mirettes depuis ses longues soirées de débauche avec ses camarades de l’université de Camden. Il est aussi devenu un écrivain très couru, très à la mode à Hollywood et comme il se doit, un scénariste plutôt demandé. De la bande des années 80, il ne reste que des quadras richissimes qui ont tous plus ou moins réussi à se payer une villa sur les hauteurs de Mulholland. Los Angeles, c’est le pied ! Jusqu’à ce qu’un cadavre apparaisse, tellement martyrisé qu’à la première vision, on dirait un drapeau américain. Jusqu’à ce qu’un homme disparaisse, quelque part dans les vallées environnantes. Jusqu’à ce qu’une fille débarque et que Clay se retrouve sous surveillance, menacé par d’étranges SMS anonymes.
Il y a quelques années, notre directeur des ressources s’était violemment emporté contre la dernière production en date de Chuck Palahniuk. A l’époque, cet auteur lui inspirait beaucoup de respect. Et puis, avec A l‘estomac, la dégringolade était apparue. Excessivement frustré par la lecture interrompue de ce livre inutile, SG avait littéralement brulé le papier.
Voilà cinq ans que nous attendions avec une impatience de vierge, le prochain opus de Bret Easton Ellis. En achevant – dans les larmes, avouons-le sans honte – Lunar Park, on se posait cette question, finalement assez inquiétante : qu’est-ce qu’Ellis va bien pouvoir être capable d’écrire après un truc pareil ? La réponse tombe donc cinq ans plus tard : rien !
Commençons par l’aigreur et n’hésitons pas à être vulgaire. Putain, faudrait quand même voir à pas nous prendre pour des cons ! Ellis, qui doit toucher des à-valoirs du monde entier atteignant des sommes stratosphériques, n’est capable en cinq foutues années que de nous pondre deux cent pages, et non content de faire de la rétention, il avoue son incapacité passagère, en faisant une suite à l’un de ses romans les moins captivant : Moins que zéro ! « Attendez, j’ai pas tout dit la dernière fois ! » Voilà ce que nous crache cette feignasse. Alors, oui, nous l’avouons sans ambages, on vient de subir le désagréable syndrome du taulard fraichement sorti de sa geôle un jour de grève des péripatéticiennes.
Ensuite, retirons l’aveuglement agacé et regardons-y à deux fois : après tout, Ellis est loin d’être un manche, même une novelette reste incontestablement valable. Alors oui, il y a l’ambiance BEE, certifiée conforme, avec sa paranoïa habituelle partagée entre la plupart des protagonistes. Des images presque transcendantes, comme ce cadavre qui ressemble au drapeau américain, avec les trainées de sang sur son costard blanc et sa tête qui a viré au bleu. Le style, relativement inimitable, ces phrases comme des décharges subites de conscience au milieu d’un état superficiel global. Sous leurs peaux perpétuellement neuves, les personnages sont toujours aptes, au moins sur trois – ou après trois – lignes de se remettre un peu en question. Il y a toujours cet aspect de loin en loin surnaturel, amené par un état mental sans cesse raboté par les drogues. Le réel de Bret Easton Ellis est toujours un accident en pleine ligne droite, comme tombé du ciel.
Mais dans ces Suite(s) Impériale(s), il n’y a pas de quoi s’enflammer comme semble l’avoir fait la presse internationale dont il faut toujours se méfier lorsqu’elle est citée en quatrième de couverture. C’est intelligent, bien manier, mais d’un terrible tire-au-flanc.
Avec deux cent pages de plus, on aurait presque pardonné cette séquelle de Moins que zéro. Là, désolé, mais on se fait retirer la gamelle un peu trop vite. Donc, comme tout bon chien qui se respecte, on mord la main qui frustre.
Suite(s) Impériale(s)
roman américain de Bret Easton Ellis
traduit de l’anglais par Pierre Guglielmina
228 pages – Robert Laffont Pavillons - 2010