Potentiel d’une grande question littéraire
Pourquoi les romans de Christopher Moore sont merdiques ?


L’un de nos laborantins en charge des lectures en retard, s’est abimé les synapses et la cornée sur Le sot de l’ange de Christopher Moore paru en 2006 chez Calman Levy. Il nous explique, après l’ingurgitation d’une boite d’ibuprofène, ce qui lui a causé tous ces maux.

Je vais commencer par ne pas perdre mon temps à vous résumer Le sot de l’ange. D’une part parce que, comme la plupart des romans de Christopher Moore, c’est un exercice complexe pour des résultats peu vendeurs. D’autre part parce qu’à la page 134, j’ai refermé le livre, j’ai visé ma corbeille à papier et, évidemment, je l’ai manquée. Du coup, le bouquin gisait là, ouvert par terre et je me suis dit que je me vengerais.

Mais me venger de quoi au juste ? D’avoir lu quatre des romans de ce type qui se prétend auteur humoristique proche des grands absurdes juste parce que sa biographie contient cette phrase hautement drolatique « aime le polo à dos d’éléphant ». Un peu comme Palahniuk qui disait de lui qu’il vivait seul entouré de ses chiens. Excusez-moi, mais quand un écrivain laisse passer ce genre d’ineptie qualificative, je pars sottement du principe que derrière, ça a intérêt à être solidement ficelé. C’est un peu comme : « le film le plus drôle de l’histoire du cinéma », ou « l’épluche légume le plus révolutionnaire du monde » ou encore « la guerre la plus meurtrière de tous les temps ». Il vaut mieux que ça déchausse les dents, sans quoi la frustration du consommateur risque de poser quelques problèmes de voisinages.

Déjà avec L’agneau, j’avais ressenti un certain agacement. L’impression de m’être fait floué sur la marchandise. Vendue sous la bannière de la Série Noire, cette relecture de la vie de Jésus par son meilleur ami Biff, n’avait strictement rien d’un polar. Mais c’était mon premier Moore, j’étais curieux, naïf et prêt à tout. Bon, c’est vrai, je me suis plutôt marré, dans l’ensemble et j’en ai même parlé autour de moi. Mais j’ai laissé passer quelques années avant d’en reprendre un.

Avec La vestale à paillettes d’Alualu, je me suis demandé pendant 500 pages ce que ça pouvait bien être que ce bordel. Entre temps, j’avais découvert Tim Dorsey et ce que pouvait être une vrai crise de fou rire dans les transports en commun. Le truc était mal fagoté, les blagues tombaient à plat, j’ai eu du mal à aller jusqu’au bout.

Alors que je faisais part de mes remarques à mon beau frère, ce dernier, comme tout bon fan qui se respecte, m’a sorti cet axiome : « C’est parce que t’as pas lu les bons. Essaye Le lézard lubrique de Melancholy Cove, tu verras, c’est à mourir de rire ». J’ai donc acheté ce Lézard lubrique dont la couverture chez Folio Policier était à peine inspirée de l’affiche de Godzilla version Roland Emmerich. N’importe quoi ! J’avais ricané cinq fois en 430 pages, ce qui fait un ratio plutôt maigre quand on vous l’a vendu pour un récit à se faire claquer les poumons, faites le calcul.

Puis, mon beau-frère, encore lui – que je tiens pourtant pour un homme de science, cultivé de surcroit – m’offrit pour mon 38ème anniversaire, Le sot de l’ange. Un peu échaudé par les précédentes tentatives, le livre est resté longtemps coincé dans la partie de ma bibliothèque où échouent les denrées non encore consommées. Seulement la couverture est rouge. Elle est donc attirante. J’ai fini par céder, il y a quelques jours et puis il y a eu l’incident de la corbeille à papier.

Non, sérieusement, qu’est-ce que c’est que ce truc ? Dans le genre branquignole, on a fait mille fois mieux. Même avec un Elmore Leonard vieillissant, on passe un meilleur moment. En fait, le problème de Moore, c’est qu’il laisse trop souvent le lecteur sur le bord du chemin. On dirait l’un de ces types suffisamment bourré à un mariage, et qui vous raconte des blagues d’une absolue médiocrité en en riant lui-même, ce qui n’est absolument pas le cas de son auditoire. Parfois même – ou souvent, plutôt – Moore glisse dans des terrains tellement vaseux que sa narration nous laisse pantois. Désolé mais que des bonbons portent le nom de Crétins, Salopards et Crotte de nez ne me fait plus rire depuis mon redoublement de 6ème en 1981. Je ne sais dans quelle condition Christopher Moore écrit ses romans, mais je ne suis pas certain de vouloir ingurgiter les mêmes trucs que lui. Sans compter les digressions, multiples, avec lesquelles il nous paume allégrement et dont on se fout complètement.

A mon avis, il suffirait de peu de choses en terme de communication pour que Moore vende ses bouquins à un spectre plus large de lecteur : « Le nouveau roman de l’auteur américain le moins drôle du monde ». Là, au moins, il n’y aurait aucune déception possible et on en aurait pour notre argent.

PS : Nonobstant ces remarques, je confirme à mon beau-frère qu’outre son intérêt pour Christopher Moore, il conserve dans mon cœur une place très honorable.