Potentiel de la jeunesse anglaise
Pommes
de Richard Milward

Après la quinzaine Attila, voici venu le temps de la semaine Asphalte. La toute jeune maison d’édition propose des textes rares, venus des quatre coins du globe. Pommes est le premier roman d’un briton de 26 ans et avec un thème déjà traité par quelques grands noms de la littérature, Milward fait une entrée pour le moins fracassante.

Adam a 15 ans et il est amoureux d’Eve. Eve a 15 ans, elle est belle, elle le sait, tous les mecs sont à ses pieds. Adam est timide, violenté par son père. La mère d’Eve est en train de mourir d’un cancer du poumon, Eve passe ses nuits avec ses copines, de bar en boites de nuits, un ecsta par-ci, une bouteille par-là. Dans le monde ouvrier d’une petite ville du nord de l’Angleterre, Adam et Eve se tournent autour. Si lui rêve d’une union exclusive, elle vit au jour le jour. Mais ce qui est clair, c’est que le paradis ne ressemble pas à Middlesbrough.

On en a lu des pages sur le monde de la jeunesse : de Coupland à Palahniuk en passant par Welsh ou Ellis, tous, à leur manière sont entrés dans le cerveau de ces sortes de monstres égoïstes, promis à un avenir sans gloire, passant leur journées à s’oublier dans diverses activités peu reluisantes, faites de beaucoup d’illusions et de peu de victoires. Avec Pommes, Richard Milward ne révolutionne pas le genre, il le traite avec une vision kaléidoscopique.

Pommes est divisé en points de vue. Avec l’hypersubjectivité d’un journal intime, ce jeune écrivain se permet tous les caprices. D’abord Eve, dont on découvre très rapidement le cercle familial et l’échappatoire quotidien dans diverses expériences chimiques. Puis Adam, plus timoré, qui se révèle lentement, de manière psychotique (il lutte contre ses TOC qui lui infligent une vision morbide du monde : « si je ne ferme pas huit fois la porte, maman va mourir »), le père qui frappe, la mère qui ne dit rien, et puis Eve, la femme de sa vie. Alors, une fois le rythme mis en place, Milward glisse vers d’autres narrateurs, totalement éphémères : un papillon à peine sortie du cocon, une copine violée pendant un coma éthylique, son violeur, un lampadaire, etc…

Ce qui apparaît brutalement en cours de lecture, c’est l’infernal enfermement dans lequel vivent les protagonistes. Un enfermement de classe. Ici, personne semble incapable de transcender le monde dans lequel il est né. Chacun est victime d’une société fragmentée. La seule aristocratie devant laquelle Adam se prosterne est celle des filles, la bande de Eve : elles lui semblent brillantes, belles et libres, très éloignées de sa petite condition d’adolescent qui ne trouve un peu de soulagement que dans une pratique compulsive de la masturbation. Il ne se rend pas compte, Adam, que son Eve est aussi prisonnière de cette vile que lui. Sa seule fenêtre à elle, c’est son insolence, son ingénuité et sa capacité à ne pas penser, pas réfléchir, se mettre en danger et aller de l’avant vers le mur qui se dresse chaque jour un peu plus devant elle. Sa seule ligne de mire, c’est ce voyage à Majorque prévu pour les prochaines vacances : encore des boites de nuits, des garçons et de petites pilules pour voir le monde au travers de pupilles étrécies au maximum.

Pommes est un très beau texte, populaire à souhait, drôle et désespéré. Il nous donne à partager le quotidien de l’adolescence d’aujourd’hui qui ressemble finalement à celle d’hier comme à celle de demain. Quelque soit l’état du monde, la seconde décennie de la vie n’est jamais une partie de plaisir. Chez Milward, peut-être plus que chez les autres auteurs qui ont traité de cette période, il semble que l’apprentissage de la vie des 15 – 17 ans soit un rite de passage presque létale.

Et puisque c’est la règle de cette maison, le rabat de la quatrième de couverture propose une playlist à écouter en lisant. Bravo, Mesdames. Beau travail. Bravo aussi à la traductrice dont on peut sentir toute la maitrise : jamais la moindre hésitation de forme, jamais le moindre faux pas dans le piège des expressions à la mode. Pommes tend à l’universalité.

Pommes

Roman anglais de Richard Milward

Traduit par Audrey Coussy

243 pages – Asphalte – 2010