La terre vue du David Pujadas (épisode 5)
Potentiel du reportage putassier

A 20H15, le JT de France 2 de ce 11 mai se lance dans un exercice de style à la limite de la haute voltige scabreuse. Sans doute pour le plus grand plaisirs des déçus de Jean-Pierre Pernaut et des lecteurs du Nouveau Détective.

Trois sujets se suivent ce soir chez David Pujadas. Le premier consacre l’union PS-UMP pour le vote de la première résolution à l’Assemblée qui devrait mener à la loi sur l’interdiction du port de la burqa dans les lieux publics. La minute réglementaire s’écoule, et notre petit satellite lance sans transition le second chapitre. Il est en soit une illustration annoncée du précédent, puisqu’une équipe de France 2 est retournée à Nantes pour retrouver la trace de ce couple dont la femme fut verbalisée fin avril pour avoir conduit avec son niqab. Inutile de rappeler les faits, ils sont connus, ils défrayent la chronique depuis près de quinze jours, le monde politique en est tout retourné, fait de grand mouliné avec ses bras, à se demander donc pourquoi France 2 part à la recherche de ce couple que personne n’a vraiment eu le temps d’oublier.

Donc, l’équipe se pointe dans le lotissement où réside le couple. Ils tentent d’approcher l’épouse, mais, comme le dit la journaliste dans son commentaire, le mari débarque et montre rapidement son intention de ne pas collaborer. S’en suit immédiatement une bousculade de caméra. Il va sans dire que l’habitué du JT de la Une en a pour sa redevance. Sûr qu’après ça, il viendra un peu plus souvent sur le service public. Les autres se poseront la question suivante : c’est plutôt curieux comme manière de fonctionner, non ? Je parle des journalistes : ils ne se sont pas annoncés avant de venir ? Pas un coup de fil de la rédaction demandant s’ils peuvent venir poser quelques questions ? Visiblement, non. Un peu comme dans les reportages animaliers. On prend un avion, on débarque en zone sensible, on allume la caméra et on attend que l’incroyable se produise.

Mais ca ne s’arrête pas là, sinon, ça ne serait pas drôle. Est-ce la rage d’avoir été éconduite de la sorte, toujours est-il que notre reporter – qui se retrouve donc sans sujet, vous l’aurez compris – se contente d’images d’archives où l’on peut voir le mari protester des suites de l’affaire (polygamie, enfants à la pelle et festin de subventions sociales), sur lesquelles elle colle son la fin de son commentaire. Et c’est là que ça devient vraiment marrant. On l’imagine, la petite journaliste, rentrant en TGV à Paris, avec sa cassette à moitié vierge, son cadreur qui roupille après avoir fini ses 50 cl de Foster et son wrap légumes cuits. Elle boue, on va lui voler dans les plumes, elle fait l’antenne du soir à 20H15 et elle va devoir remplir la case. Hop ! Sitôt arrivée, elle se jette sur internet et elle compile. D’où le commentaire. A l’entendre s’exprimer, c’est simple, on n’a qu’une envie : s’encarter chez Goldnish, juste pour faire chier Le Pen. Le mari aurait eu douze enfants. Le mari aurait quatre maitresses. Le mari, qui travaille à mi-temps dans une boucherie, toucherait le RSA. La famille percevrait des allocations. La seule délicatesse du speach réside dans l’emploi de ce pudique conditionnel qui dit tout et surtout le contraire de son incertitude.

Là-dessus, quelques minutes plus tard, à peine la digestion passée, un troisième sujet. Cette fois à la gloire des hôpitaux français qui accueillent de plus en plus d’étrangers pour des opérations délicates. Mais attention, hein ? Pas n’importe qui. Des Kowetiens (plutôt bien placé sur l’échelle des porteuses de niqab), des Irlandais (qui, après avoir voté non ont majoritairement dit oui à la constitution européenne quand Bruxelles leur a promis de ne pas toucher à leur interdiction nationale de l’avortement) , des Américains (dont les ligues pro-life et créationnistes ont encore de beaux jours devant eux)… Et les directeurs de centres hospitaliers de se réjouir devant la manne financière que promet de tels services internationaux. Ben, oui, le prestige, hein ? L’un d’entre eux de regretter d’ailleurs le manque de marketing des services de santé français, une pudeur sans doute. Mais à la rédaction de France 2, personne ne va fouiller dans les archives, cette fois, pour retrouver quelques reportages récents dans lesquels les médecins et les infirmiers français se plaignaient du manque de lits, du manque de moyen et des fermetures de CHU. Non, personne.

Ce soir encore, le petit satellite qui observe notre planète à 1,65 m au-dessus de l’écorce terrestre s’est mis en quatre pour nous donner à boire et à manger. Et tout ça est passé directement dans l’estomac grâce à la sélection annoncée des joueurs qui iront gambader derrière un ballon chez les Africains du Sud – dont on a pu voir, la veille, avec quelle célérité, ils préparaient dans une zone magnifique, au milieu des pauvres, un splendide hôtel de luxe pour nos footballeurs. Voilà, on a tout digéré et on a plus qu’à attendre demain pour chier tout ça, sans même un regard en arrière.

C’était un reportage exclusif en direct depuis le canapé central du Petit Laboratoire des Potentialités Globales.