Potentiel du charnier :
La cote 512 de Thierry Bourcy

En 2005, le scénariste Thierry Bourcy commence une série de romans policiers se déroulant tous dans les tranchées de la guerre de 14. La Cote 512, parue au Nouveau Monde, est le premier épisode des aventures de Célestin Louise, flic et soldat.

Lorsqu’en novembre 1914, la guerre se déclare, l’enquêteur de la brigade criminelle de Paris, Célestin Louise, pourrait profiter de son poste pour échapper à la bataille. Mais comme tous les jeunes appelés, il pense que l’expédition dans l’Est ne durera pas. Alors il part. Sous les bombes de Verdun, dans les tranchées, il avale quotidiennement sa ration d’horreur et de désillusions. Jusqu’à ce que le lieutenant de Mérange qui dirige sa compagnie, meurt au cours d’un assaut… d’une balle dans le dos. Le soldat redevient donc flic pour comprendre qui et pourquoi, on a tué cet homme depuis les lignes françaises.

Bon nombre d’auteurs, notamment de polars, aiment à s’écrier que de toute façon, depuis Shakespeare, tout a déjà été écrit. Alors, chacun d’y aller avec ce lourd passif et de se creuser le citron pour pondre, sinon de l’original, du moins du pas trop répétitif. Et puis, il y a les acharnés, ceux qui pensent tout le contraire et vont avec les dents, ratisser tout ce qui n’est pas encore potentiellement tombé sous la plume des ancêtres.

Ce doit être le cas de Thierry Bourcy. Cet auteur vient du scénario. Le scénario est un exercice plutôt ingrat et désincarné : interdiction de glisser du style dans les didascalies, pas de psychologie non plus en dehors de celle exprimée par l’action et par les dialogues. Sans compter qu’à la télévision, question « on a déjà tout fait », les commandes fleurent bon le bis repetitam. Est-ce ça qui pousse Bourcy vers la littérature policière ? Gageons que oui, ça nous permettra un raccourci.

La Cote 512 (ou comment trouver l’idée qui n’a, à priori, jamais été exploitée – mais nos connaissances en la matière sont limitées) est donc le premier roman de Thierry Bourcy. Les faits sont simples, il suffisait d’y penser : comment dans la tourmente de la guerre 14-18, trouver un cadavre suspect au milieu du champs de bataille, et décider de mener une enquête à laquelle pas un soldat ne prête la moindre attention ? Et bien c’est simple, donc : on ne se pose pas de question et on y va, baïonnette au canon. L’aiguille dans la meule de foin, voilà le sujet de cette Cote 512. Celestin Louise, flic tenace sous son costume de poilu, passe les lignes, insiste auprès de ses supérieurs, obtient même des permissions pour poursuivre son enquête loin du théâtre des opérations.

Mais ne nous y trompons pas. Si la tâche de ce policier émérite quoiqu’un peu psychorigide, peut paraître stupide et vidée de son sens quand des millions d’hommes autour de lui sont sur le point de mourir, elle n’est presque qu’un prétexte. Un prétexte plutôt bien orchestré. Présent au front, Louise est un témoin privilégié des petites horreurs quotidiennes, de l’anecdote ordinaire de soldats, du détail muséographique de cette vie d’insecte qui dura quatre longues années, au fond des tranchées qui tenaient un ligne de plus de sept cent kilomètres, de la mer du Nord à la Suisse. Échappé dans la France libre, Louise devient le rapporteur d’une histoire méconnue, celle de ces poilus, qui, en permission, loin des obus, se retrouvaient confrontés à une société civile qui ne les acceptait pas parce qu’elle voulait oublier que le pays été en guerre. La narration de ces deux tableaux vaut à elle seule le but anecdotique que Louise s’est fixé.

Reprise en 2008 en poche par Folio Policier, la tétralogie de Thierry Bourcy vaut pour son aspect documentaire autant que la visite d’un mémorial de la Grande Guerre.

La Cote 512
Roman français de Thierry Bourcy
254 pages – Folio Policier - 2008