Potentiel des Amériques :
Lonely Betty de Joseph Incardona

Etre natif des cantons suisses permet vraisemblablement quelques libertés. Parmi celles-ci, un exercice trop rare dans la littérature francophone à tendance polardeuse : implanter son récit dans une ville d’outre atlantique et écrire une vraie histoire américaine. Voilà la révélation du dernier roman de Joseph Incardona.

Élisabeth Holmes aura cent ans à minuit, tout comme à minuit sera célébrée la naissance du Jésus-Christ-Notre-Sauveur. Oui, nous sommes le 24 décembre 1999 dans la petite ville de Durham, Maine. Cette femme, qui fut institutrice pendant les années 50, ne parle plus depuis des lustres. La raison ? Trois de ses élèves ont disparu, volatilisés, alors qu’ils étaient sous sa surveillance. Après cinquante années de silence, Betty Holmes décide de parler. A qui ? A John Markham, le shérif à la retraite de Durham, qui fut, à l’époque, chargé de l’enquête. Et que lui veut-elle, Betty ? Lui dire qu’elle a des informations sur la disparition des frères Harrys…

Ils sont rares, les polars francophones qui osent passer l’Atlantique pour installer leur intrigue dans une ville américaine. Pourquoi ? Un complexe peut-être. L’impression d’aller concourir dans la cours des maîtres. C’est idiot ? Peut-être. En tout cas, avec Lonely Betty, le Suisse Joseph Incardona tend à nous prouver que c’est une chose sinon possible, au moins envisageable. Cela étant, il est à noter que le prétexte à une délocalisation de cette histoire du coté du Maine (terre de quelques grands de la littérature mondiale, Yourcenar et King entre autre cas d’espèces) n’est ici pas fortuit, ni ne tient à une pause d’auteur. Pour des raisons que l’on ne dévoilera pas ici, il est important que ce récit ne se situe pas dans le Maine et Loire (où, à une exception près, il aurait tout à fait eu sa place).

Incardona fonctionne dans ce Lonely Betty comme fonctionne les séries américaines à succès – encore une bonne raison de placer ce roman dans cet ailleurs. Divisé en six chapitres dont un épilogue assez génial, ce roman propose des fins d’épisodes au cours desquels on fait la tournée elliptique de tous les personnages, dans leur environnement, à un moment donné. A la manière de ces clips conclusifs, c’est aussi un bon moyen de fabriquer un alibi pour chacun des rôles qui jalonnent le texte. Et Incardona s’amuse avec ce code, faisant même intervenir des personnages encore jamais rencontrés, qui sont juste là pour se questionner sur le rythme du récit.
Petit bouquin délicieux, magnifiquement édité par la maison Finitude qui tient boutique à Bordeaux, Lonely Betty, comme le fut il y a deux ans Remington chez Fayard Noir, est une sorte d’ovni littéraire, drôle à souhait, prenant le lecteur à partie, triturant un peu ses références et jouissant d’un retournement plutôt bien pensé, en tout cas solidement amené.

Lonely Betty
roman suisse de Joseph Incardona
Finitude – 2010 – 111 pages