Potentiel d’un monde qui n’évolue pas:
La grève des électeurs d’Octave Mirbeau

Réédition par la géniale maison Allia d’un texte de Mirbeau paru dans les pages du Figaro en 1888, La grève des électeurs met en branle les idées du PetLabPotGlob à quelques semaines du premier scrutin des Elections Régionales. Question : est-ce un texte terriblement moderne ? Ou bien est-ce notre monde qui n’évolue pas ?

Oui, la question nous taraude à chaque fois qu’un critique sort cet argument vendeur en parlant d’un classique : « ce texte est d’une incroyable modernité ». Que nous raconte Mirbeau, chroniqueur graphomane de la fin du XIXème qui loua sa plume à divers journaux, du plus droitier au plus libertaire et qui finit par renier ses excursions à droite pour se déplacer vers une certaine anarchie ?

Que l’électeur est un mouton qui a le choix de voter, soit pour le boucher qui le débitera en tranche, soit pour le bourgeois qui en fera son repas. Dans un cas comme dans l’autre, ce mouton répond à une liberté qu’il croit citoyenne, acquise à peine cent ans plus tôt dans le sang de la Révolution Française. Et que ce mouton devrait se poser davantage de questions sur cette liberté qui est passé des entraves de la monarchie absolue, à celle de la République, repère de politiciens carriéristes ne se préoccupant du peuple qu’en période électorale et uniquement à des fins clientélistes.

Hallucinante inversion de la pensée de l’époque. Terrible constat d’une vérité qui n’a pour ainsi dire pas évolué cent ans plus tard, alors qu’aujourd’hui, l’abstentionnisme est littéralement conspué à l’échelle nationale. Un vote que l’on nie, c’est un dialogue qui se rompt, nous répète-t-on à l’envie. Mirbeau, lui, pousse l’électeur à aller à la pèche plutôt qu’au bureau de vote, l’exercice, au moins en est-il sûr, lui rapportera de quoi manger.

Qu’en penser ? Je me souviens avec émoi de mes cours de géographie en 6ème où notre professeur, Mme Ribowski nous parlait des institutions de la République Française. Lorsqu’elle nous enseigna le suffrage universel, elle nous appris que les résultats d’une élection se découpaient en quatre ensembles : tant de bulletins pour les candidats ; tant de nuls (deux bulletins dans la même enveloppe, bulletins portant des signes distinctifs rajoutés par l’électeurs, etc…) ; tant de blancs (enveloppe vides ou contenant un bulletin blanc) ; et les abstentionnistes (électeurs ne s’étant pas déplacés pour voter). A l’exception du quatrième, les trois premiers ensembles regroupaient des citoyens majeurs qui avaient signé le registre des bureaux de vote et donc utilisé leur voix. Aujourd’hui, abstentionnisme et vote blanc sont rangés dans le même sac, celui qui donne, à chaque élection, la température de la motivation populaire. Je ne sais pas à quelle date exactement, sur ce point, les leçons de Mme Ribowski sont devenues obsolètes, mais le fait est que l’on a retirer à l’électeur la possibilité d’exprimer, tout en votant, son incapacité à choisir un candidat lorsqu’aucune des listes en compétition ne correspond à ses attentes. Je ne sais pas, mais je constate que l’on a relégué cette catégorie de dubitatifs au rang des maudits de l’abstention.

A la lecture de cet essai, que je trouve assez fondamental, moi qui ne me suis jamais abstenu, j’avoue être saisi de doutes. L’état de déliquescence dans lequel se trouve toujours aujourd’hui (le texte n’est donc pas moderne, nous sommes d’accord, c’est nous qui n’avançons pas) notre appareil politique laisse bon nombre de nos concitoyens dans l’expectative. Sans vouloir jouer la carte, elle aussi populiste, du « tous pourris », il est facile de faire le calcul : à droite comme à gauche, les procès pour conflits et/ou prises d’intérêts, détournements de fonds sociaux, sont légions. Cette Assemblée Nationale dont on attend qu’elle soit à moitié vide pour faire voter une loi scélérate est hystérogène. Le cumule des mandats, si décrié dans les deux camps, n’est toujours pas réglé. Et ne parlons pas des grands évènements médiatiques que sont les divers congrès internationaux, à plus ou moins belle idées humanistes, et qui se concluent toujours dans le consensus mou parce qu’il est plus facile d’appliquer une certaine real politic (fourre-tout providentiel) que de s’impliquer réellement en pesant de tout son poids lorsque l’on en a un. Où est l’électeur là-dedans ? Celui dont Mirbeau rappelle qu’il est tout de même le premier maillon de la chaine. Celui qui élit.

Alors à quelques semaines de Elections Régionales, j’avoue m’être fait littéralement retourné par ce texte – que j’invite quiconque se sent perdu à consulter d’urgence. Non pas pour choisir la voix de l’abstention, que je ne prône pas, mais au moins pour retrouver l’origine de ce qu’est la place d’un électeur. Il n’est pas un facteur des postes qui vient déposer le courrier dans la boite aux lettres avec le sentiment d’avoir exercé là son boulot routinier. Il est un citoyen à qui ont donne la possibilité de censurer. Par l’abstention s’il le faut. Mais aussi par la réclamation. Réclamer que l’on cesse, dans les médias, d’analyser l’abstentionnisme comme un désintérêt pour une élection, mais comme une sanction. Réclamer que le vote blanc soit réhabilité. Et réclamer enfin que chacun des sièges de député élu par le peuple à l’Assemblée Nationale soit occupé. 577, c’est quand même pas le bout du monde, quand on a 65 millions de Français à diriger.

La grève des électeurs

Essai d’Octave Mirbeau

44 pages – Allia – 2009