En 1955, paraît aux Etats-Unis, un roman de Jack Finney qui va donner lieux dans les cinq décennies à suivre à pas moins de quatre adaptations cinématographiques. Fourre-tout des paranoïas de chaque époque, L’invasion des profanateurs n’est certes pas un polar. Pourquoi donc cette chronique ? Petit tour d’horizon des films et étude de chacun d’entre eux dans leur contexte historique.
L’intrigue des Profanateurs de Sépultures (Body snatchers) est simple autant qu’insidieuse : dans une petite ville de Californie, un médecin reçoit la visite de patients qui lui disent être très inquiets du changement qui s’est opéré, en seulement une nuit, chez l’un de leur parents. En deux mots, ils ne les reconnaissent plus. Et rapidement, le docteur Driscoll se rend effectivement compte qu’une partie grandissante de la population est en pleine mutation : les habitants de Mill Valley deviennent les uns après les autres aphasiques, semblent ne plus éprouver de sentiments et finissent par constituer une communauté grandissante face à laquelle, les quelques rares humains encore normalement constitués font office d’intrus à convertir. La résistance s’organise mais l’épidémie prend rapidement des dimensions nationale, voire planétaire.
Un an après sa sortie sur les étales des libraires, le réalisateur Don Siegel (Les proies, Dirty Harry, etc…) tourne la première d’une longue série d’adaptations de ce roman. Avec les acteurs, Kevin Mac Carthy et Dana Wynter, Siegel respecte mot à mot la trame de Finney mais n’offre pas au spectateur le happy end choisi par l’auteur. On est en pleine guerre froide, les procès en sorcellerie du sénateur Joseph Mac Carthy mettent en émoi le peuple américain : on y traque, chaque semaine, les ennemis de l’Etat et un certain nombre de scénaristes, réalisateurs, acteurs, écrivains, journalistes et autres personnalités de la société civile se retrouvent sur la sellette, soit à devoir coopérer en dénonçant leurs camarades, soit à se voir directement condamnés pour intelligence avec les communistes. L’allégorie que représente le Body Snatchers de Finney est du pain béni pour Siegel. C’est la pleine période des films de SF, dans les drive in et les salles obscure d’Amérique, on se fait peur avec des doubles programmes où l’ennemi vient de l’espace, mais sous son masque, le rouge est clairement identifiable. Le Body Snatchers de Siegel montre moins le visage de cet ennemi qui ne dit pas son nom et profane peu à peu le corps social américain, qu’il ne dénonce les méthodes de la Liste Noire : trier le grain de l’ivraie et dénoncer celui qui s’oppose à ce fascisme latente. Et la foule décérébrée de courir après les résistants en les montrant du doigt et en hurlant.
En 1978, c’est à Philip Kaufman de prendre la relève. Cinq ans avant L’étoffe des héros qui le rendra célèbre, le réalisateur tourne avec Donald Sutherland Invasion of the body snatchers, une remise en perspective de l’œuvre de Finney, cette fois à l’heure du film d’horreur déjà copieusement squatté par les talentueux Nicolas Roeg, John Carpenter, David Cronenberg, et les films de survivors auxquels Charleton Easton apportera son physique irréprochable, tels que The Omega Man, de Boris Sagal ou Soleil Vert, de Richard Fleischer. La guerre froide n’est pas terminée. Les lois Mac Carthy ont fait long feu, mais la déculottée du Viet-Nam n’est pas si loin, le premier choc pétrolier non plus. En ce qui concerne la Guerre Froide, elle perdure : l’URSS est en train de s’implanter solidement en Afrique. La CIA joue des coudes dans pas mal de coups d’états en Amérique Centrale et Amérique du Sud pour empêcher vaille que vaille le communisme de s’implanter à ses frontières. Et Jimmy Carter fait voter des lois isolationnistes pour sauver le dollar et l’emploi. Invasion of the Body Snatchers donne le la, une fois de plus, dans un pays qui a peur par nécessité politique. Paranoïa quand tu nous tiens. Le film est glauque à souhait, sauvagement violent et voit en plus débarquer la trouille du nihilisme. La foule hurle encore plus contre la résistance et l’appareil d’état se retrouve au cœur du processus d’invasion. Et la fin est catastrophique, noire et effrayante. Du pur fatalisme au travers duquel, on sent un appel à soutenir la grande idée d’exportation du modèle américain comme seul et unique voie possible à l’expansion de la démocratie. Sans elle, voilà ce qu’il risque d’advenir de notre planète.
Il faudra attendre 15 ans pour qu’Abel Ferrara (Bad Lieutenant, King of New York) reprenne le flambeau. 1993. L’Opération Tempête du Désert de Papa Bush en Irak a été un véritable fiasco. Le rideau de fer est tombé depuis quatre ans. En février, moins d’un mois après l’investiture de Clinton, une bombe explose sous le World Trade Center, première incursion d’Al Qaïda dans le sein des seins de l’Amérique. Body Snatchers sort en juin. Ferrara est un anar et les producteurs hollywoodiens se servent de sa verve pour, une fois de plus, attiser la peur et la paranoïa du peuple américain. Cette fois, l’invasion arrive sur une base américaine intérieure, Fort Daly. Et déstructure complètement les valeurs du mythe ricain. La cellule familiale explose. Même les gosses sont contaminés. Et le spectateur s’en prend une bonne dans le cortex lorsque le personnage incarné par Meg Tilly demande froidement à sa propre fille, entrée en résistance contre le décervelage généralisé du pays : « Où veux-tu aller ? Où veux-tu te cacher ? Nulle part, parce que maintenant, plus personne n’est comme toi. » L’ennemi gagne encore, la foule court, hurle, les doigts se pointent et tout finit dans une grande explosion de missiles parce qu’il est hors de question, en cette fin de millénaire que le peuple n’espère pas.
En 2006, après Roland Emmerich qui remplit les salles de cinéma depuis une bonne décennie avec ses films catastrophes (Independance Day), Hollywood débauche un nouvel allemand : Oliver Hirschbiegel qui, après avoir tourné un certain nombre de feuilletons de Rex, chien policier, a réalisé l’année précédente La Chute. C’est la période Bush fils V2.1. Plus couillu que son père, George Walker mène deux guerres en même temps. Invasion, avec le couple de stars Nicole Kidman et Daniel Craig propose une lecture plus qu’ambivalente du roman de Finney. L’un des personnages du film (Russe, entre parenthèse) dit dans le premier quart d’heure du film que ne plus faire la guerre nécessiterait de ne plus être humain. Et voilà que l’invasion commence, transformant peu à peu les citoyens en baba-cools zombifiés, mais néanmoins vigilants à dénoncer ceux qui ne sont pas comme eux. Du coup, tous les conflits s’arrêtent. Les pires ennemis d’hier se serrent la main, la paix envahit le monde. Houlà ! Pour la psychiatre de service, Carol Bennel (Kidman), ça ne va pas du tout. La voici, comme toutes ses consœurs des épisodes précédents, qui entre en résistance et a maille à partir avec la foule. Heureusement qu’elle veille au grain. A la fin du film, les humains sont redevenus humains et les guerres ont repris. Ouf !
Voilà ce que l’on trouve pour chacune des époques où le roman de Finney a été adapté : une entité extraterrestre qui remplace les hommes par un double asservie à cette entité, constituant ainsi une foule décérébrée qui mettra tout en branle pour amener à elle la moindre petite parcelle de résistance. Cette résistance se verra systématiquement dénoncée comme ennemi de la pensée unique du moment et n’aura aucune possibilité de s’expliquer sur ses motivations puisqu’elle ne rencontra en face d’elle qu’une foule, une masse que l’on a lentement formatée pour qu’elle ne réfléchisse plus.
Pourquoi, au jour d’aujourd’hui, le PetLabPotGlob vient-il faire l’analyse d’une série de films déjà datée ? Dans un premier temps pour faire son boulot de passeur d’œuvres – même s’il est incontestable que le Body Snatchers de Ferrara est kitch à souhait, et que le Invasion de Hirschbiegel est idéologiquement irregardable (ou alors, doublé en québécois). Ensuite parce qu’ayant des oreilles qui traînent un peu partout, les laborantins se sont laissés dire qu’un collectif de scénaristes français préparait une cinquième adaptation du roman de Jack Finney. On ne sait pas exactement ce qu’il en sortira. On sait seulement, au vu des indiscrétions qui ont fuitées, que l’intrigue s’intéressera davantage à l’entité qu’aux résistants qu’elle assimilera à un troupeau de krypto-fascistes afin que la populace sache à qui elle a à faire. Et sincèrement, il nous tarde de voir le résultat définitif de ces nouveaux partis pris.
Invasion of the body snatchers (L’invasion des profanateurs de sépultures)
Film américain de Don Siegel – 1956
Avec Kevin Mac Carthy, Dana Wynter, Larry Gates, …
Invasion of the body snatchers (L’invasion des profanateurs)
Film américain de Philip Kaufman – 1978
Avec Donald Sutherland, Brooke Adams, Jeff Goldblum, Leonard Nimoy, …
Body snatchers (Body snatchers, l’invasion continue)
Film américain d’Abel Ferrara – 1993
Avec Terry Kinney, Meg Tilly, Forest Whitaker, …
The invasion (Invasion)
Film américain d’Oliver Hirschbiegel – 2006
Avec Nicole Kidman, Daniel Craig, Jeremy Northam, …
Film américain de Don Siegel – 1956
Avec Kevin Mac Carthy, Dana Wynter, Larry Gates, …
Invasion of the body snatchers (L’invasion des profanateurs)
Film américain de Philip Kaufman – 1978
Avec Donald Sutherland, Brooke Adams, Jeff Goldblum, Leonard Nimoy, …
Body snatchers (Body snatchers, l’invasion continue)
Film américain d’Abel Ferrara – 1993
Avec Terry Kinney, Meg Tilly, Forest Whitaker, …
The invasion (Invasion)
Film américain d’Oliver Hirschbiegel – 2006
Avec Nicole Kidman, Daniel Craig, Jeremy Northam, …