Voilà un objet remarquable à bien des égards. Un texte dans la plus pure tradition des paranoïas du siècle dernier, une illustration majestueuse… Et pour une fois, une lecture très en avance sur la date de sortie…
Pour son quarantième post, le PetLabPotGlob ne pouvait pas faire moins.
Pour son quarantième post, le PetLabPotGlob ne pouvait pas faire moins.
Pour ce qu’on sait de lui, le personnage s’appelle La Taupe. Non qu’il soit un espion quelconque, il est trop âgé et trop effrayé pour tenir ce rôle, mais dans son club d’enterrement, on est obligé de se trouver un surnom ou de s’en faire imposer un par les autres. Donc, lui, c’est la taupe, 57 ans, il ne vit par sous terre mais c’est tout comme. Un immeuble, dans une rue, dans une ville qu’il appelle lui-même district, où tout semble effrayant mais rigoureusement contrôlé par… Par qui, par quoi exactement, d’ailleurs, on n’en sait rien. Le Taupe ne nous livre pas son témoignage, il est obligé de rédiger ce journal à l’usage exclusif des archives du district. Et voilà ce que l’on tient entre nos mains.
Il paraît – c’est marqué à l’intérieur, en rabat – qu’on ne sait pas grand chose de Kenneth Bernard. En tout cas, on en sait assez pour noter qu’il est Américain, professeur, poète et écrivain. Quant à son bouquin – publié aux Etats Unis en 1992, édité ces jours-ci chez Attila avec un graphisme somptueux – c’est une sorte de conjonction, de réunion plutôt, un colloque dans lequel on aurait convoqué Kafka, Topor, Beckett, K. Dick et Jodorowski pour nous causer en toute sérénité des accès de paranoïa en milieu social clos.
Oui, ces Extraits commencent sur une note plutôt étrange et les premiers chapitres nous donnent à penser qu’il s’agit là de notre société occidentale, observée par le prisme déformant d’un psychopathe incapable de s’adapter. La Taupe nous décrit ainsi la queue devant les guichets de la banque, la caissière du supermarché, le match de foot, son voisinage direct. Rien que de très normal. On y retrouve les parcages guidés par des barrières, l’esclavage au travail, l’immensité des stades surplombant un terrain trop petit et idiot, la violence de notre entourage. On y lit – dans un chapitre troublant – la tristesse d’un père qui voit son enfant grandir et lui échapper parce que l’école lui enseigne de nouvelles connaissances.
Mais quelque chose cloche, qui se révèle lentement. La Taupe n’est pas paranoïaque, c’est l’institution autour qui l’est pour lui. Le district. Qui demande à chacun de rédiger ses mémoires et les contrôles, qui oblige tous les vieillissants à adhérer à un club dont le but est de les préparer à la mort, qui apporte du sexuel via les services de prisonnier, etc…
Certes Extraits des archives du district n’est pas en soit une nouveauté. Social-fiction à la mode post apocalyptique, uchronie, M. K multiple, Etat fasciste, monde meilleur et meilleur des mondes. A cette différence près que cette Taupe semble ne pas comprendre la société dans laquelle il vit, pour la bonne et simple raison qu’elle n’a pas de sens. C’est la notre, mais sans le capitalisme. La notre, sans le vivant. La notre, sans l’humain. Mais la notre tout de même. Un mélange de ce qui est arrivé et ce qui nous guette. Ici, l’individu est poussé à l’exil quand il cherche à comprendre, à savoir, à s’affranchir. Ici, la police d’état, c’est tout simplement l’autre. Et l’on finit par se demander qui organise quoi. Oui, au bout du compte, ça ressemble à de l’anarchie pure et simple. Et la rédaction de journaux intimes ne sert au district qu’à comprendre dans quelle direction il va.
Extraits des archives du district est un livre à lire, forcément. Un objet assez magnifique en plus. Attila nous offre un véritable objet littéraire, à l’esthétique minimaliste, au graphisme sévère qui court de chapitre en chapitre. Une initiative à soutenir. Le seul problème, c’est que pour une fois, le PetLabPotGlob est très en avance. Ce livre ne sortira qu’en avril. Ne vous inquiétez pas, on vous le rappellera en temps et en heure.
Extraits des archives du district
Roman américain de Kenneth Bernard
Traduit par Sholby – Illustrations de Marc-Antoine Mathieu
240 pages – Attila – 2010
Roman américain de Kenneth Bernard
Traduit par Sholby – Illustrations de Marc-Antoine Mathieu
240 pages – Attila – 2010