Marc Lecas porte bien son nom. Il est un cas en devenir. Ca commence par cette réplique, lancée au cour d’un diner en ville, chez des « amis » de sa compagne, de plusieurs années sa cadette. « Moi aussi, je connais Agen ! ». Voilà. Ca tombe dans la soupe, la tablée le considère comme un insecte bizarre et puis l’instant passe. Après, Marc va voir passer les voitures au-dessus de l’autoroute, Marc cherche sa jeunesse dans les poils du tapis du salon, Marc décide d’aller rendre visite à sa fille Anne plus tôt que prévu à l’asile psychiatrique. Et là, il ne sait pas bien pourquoi, il lui propose de partir en ballade. Commence alors un road-movie jusqu’à Agen, parcours anti-initiatique jalonné de cadavres et de repli sur soi. Anne est folle, oui, mais son père est loin d’être un guide.
Oui, c’est chiant de lire du Pascal Garnier. Pour commencer, c’est trop bien écrit, et puis c’est lapidaire, et puis ça tombe toujours juste, et puis ça ne s’emmerde pas avec des phrases compliquées, longues et lourdes comme des tankers, et puis c’est toujours trop court, ça vous lâche au bout d’à peine 150 pages, pile au moment où vous étiez chaud. Lire du Pascal Garnier, c’est une épreuve quand soit même on prétend écrire. Pensez, ce type n’a même pas le sens de la formule, il est la formule. Ca coule, ca dégouline même, ça vous emmitoufle avec un phrasé impeccable, un style indétectable, des dialogues irréfutables et ça vous laisse les pieds dehors pour vous glacer avec un simplicité et un minimalisme parfaitement en adéquation avec ce que vous attendez d’un texte. Par-dessus le marché, ce type ose remettre en question la théorie échafaudée ici par l'un de nos plus éminent laborantin: l'accointance opportuniste de l'écrivain et du chat, le chat servant principalement à l'écrivain en panne d'idée. Pascal Garnier est capable d'utiliser un chat comme personnage sans que l'on perçoive derrière cette fausse idée, un prétexte à remplir de la page.
Et pour bien vous mettre la haine, en plus, Pascal Garnier fait parti de ces écrivains qui pourraient vous raconter n’importe quoi avec le même brio. Parce qu’on ne peut pas dire que ça casse trois pattes à un canard, cette histoire de sexagénaire dépressif qui part avec sa fille psychopathe et qui est le dernier à se rendre compte qu’elle est une criminelle endurcie. Franchement, je vous fais la même que je veux. Oui, c’est ça Garnier. C’est comme ces peintres contemporains devant les toiles desquelles ont se défend d’admiration en disant : « Fastoche, moi aussi, je peux faire pareil ». Oui, seulement voilà, une fois à la maison devant une grande toile blanche, va le pondre le monochrome. (La comparaison tombe sous le sens : en plus du reste, Garnier est peintre)
Si je puis me permettre, pour une fois, de tutoyer un auteur, je vais dire ceci : « Eh ! Garnier, tu me fous le moral à zéro avec ta prose infaillible et tes histoires à la con. T’as de la chance de sortir au moins un bouquin par an parce que je sais pas ce qui me retient de venir jusque dans le sud te péter les doigts. On verra si tu fais toujours le malin après. »
Le Grand Loin
Roman français de Pascal Garnier
Zulma – 157 pages - 2010