Potentiel du polar noir :
« La vie en spirale » d’Abasse Ndione

Le roman policier africain n’est certes pas une nouveauté, mais le retard accumulé par le Labo sur ces riches terres méritait que l’on revienne sur une parution déjà vieille d’une bonne décade…

Amuyaakar Ndooy vit à Sambey Karang, un village de pêcheur à trente kilomètres de Dakar, Sénégal. Chauffeur de taxi le jour, il passe ses nuits en compagnie de ses copains, dans un blockhaus, à fumer du yamba (cannabis) et à refaire le monde à son échelle. A cette époque, Sambey Karang a proscrit l’alcool. Sa consommation et celle du yamba sont passibles de peines de prison. Et la population se cache pour s’enivrer. Pour Amuyaakar et ses amis, la chasse au yamba n’est pas un problème. Le meilleur moyen pour vivre bien dans ce Sénégal, c’est de devenir trafiquant. Ils vont donc investir leurs quelques francs CFA pour développer un petit commerce et, petit à petit, devenir de gros dealer. Jusqu’à la catastrophe.

Abasse Ndione fut infirmier d’état à Bargny, petit village de pécheurs sénégalais, sans doute très proche de son imaginaire Sambey Karang. Il écrit en 84 et 88 les deux volumes de La vie en spirale que Gallilmard reprendra en un seul tome en 1998 à la Série Noire.

Dans le personnage d’Amuyaakar, on retrouve un peu du Démon de Selby Jr. l’angoisse persistante en moins. La première partie du roman présente l’ascension débonnaire d’un petit trafiquant à qui tout réussi. Avec un bagout infernal, il se tire de toutes les situations et semble prendre un malin plaisir à contourner tous les obstacles d’une société sénégalaise où se mélange religion et semblant de démocratie. On assiste alors à la monté en puissance de son commerce que rien ne semble menacer et lentement, monte en nous la crainte. Personnage hautement sympathique, Amuyaakar se place tellement au dessus des lois, défie tellement le système en profitant de ses failles, que l’on sent monter l’inexorable épilogue de sa carrière fulgurante. Abasse Ndione nous tracte donc à la première personne derrière cette narration de plus en plus tranquillisée, de plus en plus froide aussi. Et lorsque l’histoire bascule enfin, on est comme le héros : on ne peut pas dire qu’on n’était pas prévenu.

La vie en spirale est aussi un portrait très conscient des hautes instances sénégalaises. Paru au milieu des années 80, le roman présente un pouvoir très hiérarchisé où chaque strate semble plus corrompue que la précédente. Un jeu de dupes qui permet l’ascension sans faille d’Amuyaakar et de ses camarades. Une sorte de Scarface à l’africaine, la débauche de violence en moins.

A l’heure où le polar scandinave n’en finit plus d’envahir les linéaires des centres commerciaux, le snobisme intrinsèque du PetLabPotGlob nous pousse à vous conseiller cet excellent roman, déjà vieux certes (au vu de la puissante machine de guerre autophage qu’est devenu le monde de l’édition) mais absolument réjouissant.

La vie en spirale

Roman policer sénégalais d’Abasse Ndione

362 pages – La Série Noire - 1998

("La vie en spirale" ici)