Un riche potentiel:
auteur de romans à déstocker


Vous n’êtes pas auteur, ce message ne vous intéressera guère. Ou alors de manière purement informative. Juste de quoi briller dans un diner en société par votre savoir protéiforme. Au contraire, si vous l’êtes, peut-être ceci vous fera-t-il rire aux éclats. C’est en tout cas ce qui a failli m’arriver la semaine dernière. Au lieu de quoi, j’ai attrapé la vodka dans le congélo pour fêter mon premier pilon.


“Cher Monsieur / Chère Madame,

Les Editions du Toucan souhaitent destocker l'ouvrage intitulé " MAT SPERONE MES AMIS MORTELS " dont vous êtes l'auteur.

Conformément aux dispositions contractuelles, nous vous offrons la possibilité de racheter le stock s'élevant à 1948 exemplaires moyennant 35% du prix public hors taxes soit pour la somme totale de 20 398.48 €.

Nous vous remercions de bien vouloir nous indiquer dans un délai de 15 jours à compter de la réception de ce courrier si vous souhaitez acquérir le stock restant. A défaut, nous procéderons au destockage de l'ouvrage concerné.
Cordialement”

Il arrive de temps à autre ce type d’évènement dans la vie d’un auteur. Jusqu’ici, j’avais un peu de mal à m’estimer écrivain, mais depuis le 9 avril 2009, je suis adoubé. Et mon baptême tient entre les quelques lignes ici copiées/collées.
Petit rappel des faits : je signe en novembre 2007 au Seuil Lamartinière pour l’écriture d’un épisode d’une toute nouvelle série littéraire: Les Mat-Sperone. En ce qui concerne les à valoir, on m’indique trois versements : l’un à la signature du contrat, le second à la remise du manuscrit, le dernier à la parution du livre dont la sortie est prévue pour le mois de juin 2008. Le contrat signé, le Seuil me paye mon premier tiers dans la semaine qui suit.
Alors que je commence la rédaction, j’apprends par le directeur de collection que les Editions du Toucan rachète la collection Mat-Sperone ainsi que tous les contrats signés jusqu’ici. Pas la moindre page n’est encore écrite que la famille change de propriétaires. On me fait donc signer un nouveau contrat qui ressemble point pour point à celui du Seuil.
Au mois de février, je remets mon manuscrit. On me demande d’y apporter des corrections, ce que je fais. En avril, tout est près pour partir sur les rotatives. Je m’inquiète un peu de n’avoir pas perçu la seconde partie de mon à valoir, j’en fais la demande auprès du nouvel éditeur. On me promet que ça vient, puis que c’est imminent, puis que le chèque est parti ce matin. Au bout de quinze jours, je n’ai rien vu venir. Et lorsque le roman paraît, je n’ai toujours rien eu. En fait, il faudra que j’insiste lourdement jusqu’au mois d’aout pour percevoir mon chèque.
Pour la sortie des Mat-Sperone, Toucan (qui s’est adjoint la mention « noir ») fait paraître les deux premiers romans de la série. Celui écrit par Bibi Naceri A l’arrache et le mien. Il est prévu une campagne d’affichage, des rencontres avec les médias, etc… Lorsque les affiches commencent à paraître dans les débits de boissons parisiens, c’est A l’arrache qui tient la vedette. Mes amis mortel est relégué en bas de pantalon. Je n’ai pas forcément un gros égo mais je ne comprends pas très bien pourquoi on sort deux livres en même temps si c’est pour ne faire la promo que du premier. Je n’ai pas d’égo mais je commence aussi à en avoir un peu plein le dos de constater un peu partout sur internet que les grosses librairies en lignes vendent mon bouquin signé par un certain Stéphane Gendron. J’en fais la remarque à Toucan par mail, puis par téléphone : rien. Mieux même : l’attachée de presse me fait suivre un papier paru la semaine précédente dans La Dépêche du Midi. On y parle là encore d’un Stéphane Gendron. Nouveau mail à Toucan, nouvelle réponse perdue dans l’éther.
Aujourd’hui, soit à peine dix mois après la sortie de ce foutu roman, je reçois ce « Cher Madame/Cher Monsieur » qui au moins ne prend plus aucun risque avec mon prénom. A la lecture de ce déstockage, après un grand coup de vodka, j’appelle l’éditeur. Qui me rassure : « On avait fait un très gros tirage (5000 exemplaires) et on a eu pas mal de retour. Et tu sais, le stockage, c’est ce qui coute le plus cher. Donc on en déstocke une partie. » J’annone et il poursuit : « Mais tu sais, tu n’as pas à t’en faire. Ca ne veut pas dire qu’on ne poursuit pas la commercialisation. Bien au contraire. C’est un livre qu’on va encore garder… six… bons…mois…»
Voilà, vous êtes prévenu. S’il y en a parmi vous qui comptaient offrir Mes amis mortels pour Noël, c’est maintenant qu’il faut s’y mettre parce que c’est pas sûr qu’il en reste aux premières neige.
Ah ! Oui, j’allais oublier un détail important : Toucan Noir, c’est TF1 Publishing. On comprend mieux pourquoi j’ai beaucoup d’empathie pour le souci de stockage.