Potentialité de l'oubli
« Hitler’s day » d’Elmore Leonard

L’activité que nous menons au PetLabPotGlob lorsqu’il nous prend soudain l’envie de chroniquer un roman, peut s’avérer très anxiogène. Pour exemple, il n’est qu’à lire cette première, certes un peu tardive, qui concerne le dernier livre paru en France d’Elmore Leonard, Hitler’s day.

En 2007, l’immense Elmore Leonard écrit Up in Honey’s room, son antépénultième roman pour lequel il remet en scène l’incorruptible marshal des années 40, Carl Webster – précédemment apparu dans Le Kid de l’Oklahoma. Leonard a alors 82 ans, il est l’auteur d’un nombre impossible de bouquins, de scénari et autres adaptations pour le cinéma, il semble encore capable de poursuivre sur sa lancée. François Guérif fait alors traduire Honey’s room, qui devient Hitler’s day et sort en mars dernier chez Rivages/thriller.
Comme souvent chez Leonard, l’histoire de Hitler’s day ne rentre pas dans une quatrième de couverture. On se contentera donc de le résumer ainsi : Carl Webster se retrouve à Detroit, poursuivant des prisonniers de guerre nazis évadés d’un camp américain, dont l’un, Walter Shoen, est le sosie parfait d’Heinrich Himmler. Il s’en prétend d’ailleurs le frère jumeau, arguant du fait qu’Himmler et lui sont nés le même jour, à la même heure, dans le même hôpital.
Il est important de préciser ici que lorsqu’un roman d’Elmore Leonard sort en France, le PetLabPotGlob se jette dessus. Et, s’il s’avère que l’attaché de presse de Payot Rivage a oublié d’envoyer les SP, nous ouvrons même notre bourse afin de récupérer le retard. Hitler’s day fut donc acheté dans une librairie. Et entamé dans la foulée.
L’angoisse est née aux alentours de la page 100. Est-il possible que Leonard ait écrit un mauvais livre ? Il est possible qu’il l’ai fait par le passé, ça oui. La lecture de Mr Paradise ne nous avez pas apporté la joie escomptée. Est-il possible que le maître ait réitéré les erreurs d’alors ? Pages 110 force est de constater que oui. Un manque d’action considérable, des dialogues qui n’en finissent plus et racontent des scènes auxquelles nous aurions préféré assister, des personnages mous et bavards, n’en jetez plus, c’est désespérant.
Ce qui est surtout désespérant, ce que nous avons poussé l’expérience jusqu’à la page 200 avant de refermer définitivement ce roman. Bon sang ! Comment ça se fait ? En temps normal, refermer un roman, quel qu’il soit, avant la fin nous condamne à une sorte d’opprobre interne. Plusieurs jours durant, nous cessons de nous raser afin de ne pas croiser notre regard dans le miroir de la salle de bain. Nous nous astreignons à des autopunitions humiliantes, nous faisons vœux de longues et douloureuses pénitences. Inutile donc de préciser que lorsque l’on referme ainsi un Leonard, c’est toute notre misérable existence qui prend un violent coup de gel.
Alors voilà, disons-le haut et fort, maintenant que, le dos en plaies, nous redescendons de notre montagne et qu’enfin nous reprenons une existence parmi les vivants : le dernier Elmore Leonard n’est pas bon.
Pire encore. Rivage, dans une grande opération commerciale de sa collection Noir, offre pour deux romans achetés, un petit opus du maître américain : Mes dix règles d’écritures. Un masterclass parfait que tout apprenti écrivain devrait avoir posé au coin de son Olivetti. Le problème, c’est que lire ces dix commandements juste après Hitler’s day fait très mal. La plupart des lois édictées dans ce petit vadémécum n’y sont guère respectée.
Alors quoi ? Accuserons-nous l’homme d’avoir trop vécu ? A 84 ans, n’est-ce pas le moment de s’arrêter avant l’erreur ? Potentiellement, le fait d’écrire ces quelques lignes risque de nous occasionner pas mal de courriers désagréables, voire de tentatives de piratage du site. Et puis, le jour où – dans longtemps sans doute – M. Leonard ira rejoindre Westlake et Hillerman, il n’est pas interdit que nous soyons pris d’un effroyable remord en relisant les quelques lignes ici transcrites.
Donc on va faire un truc : on va se dire que personne au PetLabPotGlob n’a lu le dernier Leonard. Parce que l’attaché de presse n’a pas fait son travail et que, la crise étant là, nous n’avons pu, cette fois, nourrir notre irrépressible envie. D’ailleurs, de quoi aurions-nous pu avoir envie ? Le dernier Leonard ne s’est jamais appelé Hitler’s day, encore moins Up in Honey’s room, puisqu’il n’est jamais sorti, n’a jamais été écrit, à peine éventuellement imaginé mais Leonard s’est dit que c’était une idée à la con et il l’a bennée aussitôt. Voilà. Ca va mieux.
Tiens, si on relisait Tishomingo Blues ?

Hitler's Day
roman américain d'Elmore Leonard
Editions Rivagers/Thriller - 2009
Traduit de l'anglais par Johanne Le Ray et Pierre Bondil
333 pages