Potentiel de l’Argentine :
Les Taupes
de Félix Bruzzone

On a déjà parlé, par deux fois avant la trêve estivale, des jeunes éditions Asphalte qui, dans la chasse aux textes rares, font un beau boulot de spéléo. Voici leur nouvel opus, cette fois de Buenos Aires.

Comme bon nombre de ses concitoyens, ce jeune homme est un fils de disparu de la dictature argentine. Ses parents sont très certainement morts au cours de leur détention dans les sinistres geôles de l’Ecole supérieure de mécanique de l’armée, bâtiment qui a servi de 1976 à 1983 de centre de torture à la junte militaire. Sa grand-mère, avec laquelle il vit, est certaine que sa fille a accouché dans l’une de ces cellules et cherche donc avec obsession une petite fille fantôme. Finissant par fuir cette ambiance mortifère de laquelle il se sent complètement étranger, le garçon débute alors un long périple initiatique à travers l’Argentine, lui-même à la recherche de Maïra, transsexuel de laquelle il est tombé fou amoureux.

Etrange roman que ces Taupes. On y retrouve déjà l’ambiance propre à presque tous les récits d’Amérique du Sud, atmosphère indéfinissable, flottant entre le fantastique, la fable et une réalité crue dont les personnages tentent de s’échapper par le rêve.

Etrange pari aussi avec ce jeune auteur, né en 1976, lui-même fils de disparu, qui, à la première personne, nous impose un personnage sombre, mystérieux, aux limites de l’antipathie. Garçon perturbé par sa quête d’identité sexuel qui navigue au long d’un territoire vaste et chaotique, peuplé d’homme dangereux, de femmes qui n’en sont pas et d’une histoire dont il ne sait même pas si elle s’est produite.

Le résultat est troublant, assez inidentifiable. Bruzzone flirte avec tellement d’états, donne à rire comme à grimacer, qu’on hésite : y a-t-il au long de ces 170 pages, un seul moment d’empathie possible. C’est sans doute là que réside tout l’intérêt de ce roman. Le survol d’un personnage en failles dont on ne sera jamais s’il est lui même sa propre histoire, s’il est paranoïaque ou si c’est le pays dont il est natif qui reste à jamais à cheval sur ses contradictions passées et présentes.

Les Taupes
Roman argentin de Félix Bruzzone
Traduit de l’espagnol par Hélène Serrano
Asphalte Editions – 2010 – 171 pages