Il n’a pas de nom, il est jeune, il est un sang-mélé mi-Blanc, mi-Aborigène, et il sort de prison après dix-huit mois d’incarcération. Dans l’Australie des années 60, il va marcher sur un fil entre deux possibilités : soit reprendre sa vie d’avant, avec ses amis délinquants des quartiers pauvres de Perth (Sud-ouest de l’ile), soit céder à la tentation de la jolie étudiante qu’il vient de rencontrer sur une plage voisine du pénitencier. Dans les deux cas, il doit choisir entre deux mondes. Celui de sa perte ou de sa réhabilitation.
Dès les premières pages de Chat sauvage en chute libre, on pense au genre : le roman noir de prison. Avec quelques-uns de ses maîtres dont Edward Bunker. Puis, on verse dans le roman ethnique, étude sociétale des indigènes parqués, comme chez Hillerman. Avant de se retrouver déchiré dans une histoire de déstiné qui nous fait songer à The brave, de Gregory Mac Donald. Plus on avance dans ces quelques journées de liberté, plus les comparaisons nous frappent : London Express, de Peter Loughran pour sa description des petits voyous anglais, Dernière sortie pour Brooklyn, de Hubert Selby Jr, pour la tentation du mal… Mais nous sommes en Australie et Mudrooroo, né Colin Johnson, est l’un des premiers auteurs aborigènes, issue d’une culture où les histoires sont plus affaire d’oral que d’écrit. Ce qui nous amène à entrevoir une sorte d’Internationale de la petite frappe poussée dans le terreau des bas fonds qui n’a que peu de chance de se tirer des pièges d’une existence toute tracée.
La force de ce texte quasi autobiographique est d’offrir à son héros son quart d’heure de possible. Le voici sur cette plage, rencontrant cette jeune étudiante qui le trouve malin, intelligent, sensé, et l’invite à rencontrer ses amis, à l’Université de Perth. A la cafeteria de la fac, le petit gangster se présente sous un nouveau jour, capable d’un esprit d’analyse qui colle parfaitement, apte à se débrouiller dans un monde dont il ignore tout. En prison, il a lu, il connaît la rhétorique, les rouages de la pensée, comment dire les choses, les poser, discuter, paraître. Cette scène, le tournant de l’histoire, laisse espérer une issue salvatrice. On a l’impression d’avoir à faire avec un nouveau Martin Eden se révélant au monde sous la houlette de sa Ruth, appréciant soudain d’être accepté dans un monde qui n’est pas le sien, juste parce qu’il se montre à la hauteur.
Récit sur la tentative de la transcendance sociale dans un monde dont les univers sont clos de l’intérieur, Chat sauvage en chute libre, s’il nous fait penser à bien d’autres textes d’un acabit semblable, laisse sur la langue un gout amer. Langage oral troué de pertinences presque poétiques, c’est aussi le roman des perdus qui ont tout le temps de penser leur effondrement puisqu’ils ont presque la chance de n’avoir aucune sorte d’illusion.
Un mot sur Asphalte, en passant – puisqu’on ne le répétera jamais assez, le PetLabPotGlob aime a faire la promotion des jeunes éditeurs : l’originalité tient dans la recherche de textes enfouis, remis en pages et en traduction avec un gout certain pour la simplicité. En rabat de couverture est proposée une playlist, compilation de morceaux musicaux choisie par l’auteur qui pourrait accompagner la lecture. (disponible à l’écoute sur le site de la maison)
Nous observons actuellement Pommes, de Richard Milward, sortie jumelle de celle-ci, qui, au vue des premières pages, aura sans aucun doute dans les jours à venir, sa chronique ici même.
Chat sauvage en chute libre
Roman australien de Mudrooroo
Traduit de l’anglais par Christian Séruzier
165 pages – Asphalte - 2010