DANS L’INTERET DES FAMILLES
le petit coup de stress d’Alfred Random


J’aime bien procéder comme ça. Je pars d’un exemple relativement éloigné de mon sujet et je tente comme je peux de revenir vers ma cible pour illustrer mon propos. C’est souvent très casse-gueule comme procédé et j’avoue humblement que ça n’est pas toujours très concluant. Mais bon, à priori, la rédaction ne m’a encore jamais refusé un papier, je ne vois donc pas pourquoi je changerais de technique argumentaire en si bon chemin.


            Prenez un type lambda qui vit de petits boulots pour apporter son lot financier à l’édifice familial, et boucle rarement les fins de mois sans risquer un découvert bancaire, donc des agios, donc une augmentation perpétuellement renouvelée de sa dette. Il va de soi que cet individu aura du mal, en septembre, à régler son impôt sur le revenu, en octobre à régler sa taxe d’habitation, comme il aura eu du mal en février et en mai à payer ses tiers provisionnels. Donc, au bout de la chaine, le pauvre bougre verra son budget non seulement grevé par les accidents bancaires, mais en plus, se trouvera contraint de payer des pénalités de retard au Ministère des Finance pour le paiement retardé de ses diverses taxes. 10% à chaque coup.
            Vous voyez le bonhomme en question ? Très bien. Affublons-le maintenant d’un travail mal reconnu par la société ou, à tout le moins, entendu comme un loisir et non comme une profession – même si bon nombre d’entre vous aimerait, soi-disant, être à sa place : écrivain.
            Commençons par démythifier ce prétendu hobby. Non, un écrivain ne vit pas de ses droits – à l’exception d’une marge extrêmement réduite de privilégiés – parce que les droits d’auteurs représentent au mieux 12% du prix hors taxe d’un livre vendu. Donc, quels que soient les litres de sueur qu’il ait laissé sur le papier, le nombre de signes qu’il ait écrit et la qualité des critiques qui ont été ou non émises après parution, sur un roman vendu 18 euros, prix public, un auteur percevra en moyenne la modique somme de 1,80 €. Vous me direz, quand on en vend 100 000, ça représente un pactole indiscutable. Et je répondrais que là, vous parlez d’un type qui n’a aucun retard dans le paiement de ses obligations. Donc, non, un écrivain ne vit pas de sa plume, c’est un métier de rat, il faut taper tous azimut et récolter le fruit de son travail bien loin parfois de l’endroit où l’on a planter la graine.
            D’où l’importance pour l’auteur, l’écrivain, le romancier de planter le maximum de graines. C’est-à-dire, ne pas se contenter de sa seule écriture, mais se porter volontaire dans tout un tas d’activités annexes ayant trait à l’écriture et tant qu’à faire rémunérées. Contrairement à une idée reçue, il y en a très peu. En fait, il n’y en a que deux : les rencontres et les ateliers d’écriture. Eliminons dores et déjà la rencontre en librairie qui ne rapporte pas un kopek – et c’est bien le moins puisque le but est de se montrer suffisamment avenant et prolixe durant une heure pour espérer vendre une demie douzaine de romans à l’issue de la discussion ; en dehors de ces hypothétiques ventes, votre venue n’est pas sujette à rémunération. Passons à la rencontre en milieu dit public, c’est-à-dire dans un lieu dépendant directement du Ministère de la Culture ou, en tout cas, dont une partie du budget de fonctionnement est fourni par celui-ci. A savoir : établissements scolaires, médiathèques, prisons.
            Des âmes sages ont pris sur leur temps et leur passion pour instaurer une charte. Le but était de mettre en place un paiement fixe pour l’activité d’un auteur en représentation dans les institutions publiques du territoire. Depuis ce saint jour que toute personne espérant pouvoir vivre de ses écritures ne saurait remettre en question, l’écrivain courtisé se voit donc obligatoirement rémunéré pour aller porter la bonne parole devant des enfants ébaubis, des adultes fascinés et des taulards en mal de dépaysement, soit un honorable public. Il sait que, grâce à la charte des auteurs, il récoltera un peu du fruit de son labeur et ce, un peu moins aléatoirement que la restitution des droits générés par la vente de ses livres. Le problème reste de savoir quand ces émoluments promis tomberont.
            Le mandat administratif. Voilà le véritable ennemi de l’écrivain qui ne vend pas assez de sa production pour prétendre en vivre et annoncer gaillardement à sa famille que ce week-end, on se barre à Gstaad profiter du chalet avant que la neige ne fonde. Le mandat administratif, cette saloperie est explicable en quelques mots. Vous vous pointez dans une école, une bibliothèque ou une prison, vous y passez un certain temps à raconter tout un tas de trucs pour lesquels vous êtes là, et à la fin, un peu embarrassé, vous tendez votre facture au préposé de l’établissement. De là, votre facture va transiter vers le département comptabilité de la commune où vous venez d’exercer votre activité. Qui la transformera en demande de paiement transféré à la Direction des Services Fiscaux de la région concernée. Soit, les impôts. A cet instant, on vous informe par mail que l’on a « déclenché le paiement ». Il vient de s’écouler trois semaines, mais l’auteur n’est pas au bout de ses peines. A partir de ce moment, les impôts procèdent à une demande de versement qui prendra la forme d’un virement sur le compte de l’auteur qui s’est présenté près d’un mois plus tôt sur son lieu de travail. Je parle ici d’un mois, mais il va de soi qu’il s’agit d’un temps, lui-même, administratif. C’est-à-dire de trente jours ouvrés. Il n’est donc pas rare pour un écrivain d’attendre deux bons mois avant de voir apparaître sur son compte les trois chiffres tant attendus. Trois chiffres !
            Il faut aussi savoir que le mandat administratif est utilisé pour le versement des aides à l’écriture et des paiements de résidences d’auteur. Le principe de l’un comme de l’autre est de bénéficier d’un salaire afin de permettre à l’artiste invité ou primé de consacrer un temps donné à sa création. Problème : comment se sentir soutenu financièrement quand la paye ne tombe qu’un mois et demi minimum après la fin de l’exercice. Qui paye les factures pendant de temps ?
            Voilà, la boucle est bouclée. Où ça ? Comment ? Vous n’avez rien suivi, c’est ça ? Ce sont les impôts qui payent les mandats administratifs. Et ce, selon un calendrier totalement aléatoire, perpétuellement retardé pour des raisons jamais justifiées. Vingt quatre heures de retard sur le paiement du tiers provisionnel de mai, c’est 10% de pénalité. Pourquoi un écrivain n’enverrait-il pas sa facture majorée de 10% au centre des impôts lorsque trente jours de retard sont avérés ? Ouais, j’avais prévenu, c’est casse-gueule comme démonstration. Mais oubliez la conclusion et revoyez la question à l’aune d’une tache professionnelle. Quand la paye ne tombe pas à l’heure dite pour d’obscures raisons, vous faites comment vous pour payer les 10% de majoration exigés par une entité qui ne respecte pas les délais qu’elle vous impose ?


 
Alfred Random
Reporter stagiaire au Petit Laboratoire des Potentialités Globales
depuis 2013