Potentiel du borgne en milieu aveugle


Paralysé par une réfection longue et complexe de ses bureaux et donc de son site, l’équipe du PetLabPotGLob n’a plus un laborantin de libre pour faire une conférence de rédaction de plus d’un quart d’heure. Résultat des courses, l’actualité est reléguée à la dernière paillasse et les faits non traités s’accumulent. Néanmoins, nous avons trouvé ce jour un point de convergence à coté duquel il nous était impossible de passer.

On l’a compris depuis maintenant deux semaines et demi, la patrie des Droits de l’Homme, la nation des régicides pour l’exemple, l’amphitryon de la démocratie intraplanétaire est littéralement passé à coté de la Révolution du Jasmin.

Après avoir salué l’exemplarité de la Côte d’Ivoire au moment où Gbagbo refusait catégoriquement de lâcher son siège, Michèle Alliot-Marie a poursuivi sur sa lancée et, devant un parterre de députés à l’Assemblée Nationale, a proposé à Ben Ali de lui envoyer nos goldoraks, si bien entrainés à la guérilla urbaine.

Là-dessus, très pudique, la télévision nationale s’est lentement éveillée à la réalité et à l’Histoire et a attendu que le dictateur tunisien s’en soit allé rejoindre la diaspora familiale dans les Emirats pour commencer à parler franchement des exactions de Ben Ali durant ses vingt trois années de règne. Des exactions dont on a largement entendu parlé pendant vingt trois ans de ce coté-ci de la Méditerranée, mais pas au JT de France 2.

Et comme il faut une preuve par semaine de notre aveuglement, c’est Paris Match qui s’y colle ces jours-ci. Que notre lectorat se rassure, nous n’avons pas acheté cette glaire journalistique, nous nous sommes contentés de voir sa couverture. Comme vous le constatez sur notre photo, en haut de page, la rédaction annonce en gros : « Tunisie… Numéro historique ». Et image à l’appuie, comme s’il s’agissait de faire entrer ce numéro spécial au panthéon des incunables de la presse écrite, un portrait de cette femme qu’on pensait avoir oublié : Stéphanie de Monaco, titrée : « Confidences d’une femme libre », « Mes passions, mes enfants, ma vie ».

On pourrait en rire et se moquer : quel espèce de rapport y a-t-il entre cette fabricante de maillots de bain, chanteuse aphone à ces heures perdues et apprentie cascadeuse dans sa prime jeunesse qui défraya la chronique à défaut de l’enrichir en faisant à peu près tout ce qu’une princesse ne doit pas faire, ce dont tout le monde se fout, et la révolution d’un peuple qui s’émancipe d’un dictateur que tout le monde a laissé croitre ? On se le demande et on se doute que l’édito ne l’expliquera pas, le grand écart étant la vertu des gymnastes.

Mais on va surtout tenter l’indifférence (exercice difficile, surtout quand on n'est pas lecteur) face à cette énième gabegie, assumée sans la moindre honte et sans le moindre doute. Alors que la Tunisie se bat pour s’imposer la démocratie, que les morts tombent encore et que la seule solution trouvée pour l’heure c’est une énième resucée d’un gouvernement d’union nationale, un des titres de la presse française la plus vendu fête la gloire émancipée d’une des dernières tête couronnée du territoire. C’est courageux, c’est même osé, à se demander s’il n’existe pas dans notre pays des magazines spécialisés dans ce type de chroniques.

On va donc se contenter d’avoir la gerbe.